Une fois n'est pas coutume, LA CONSTITUTION EN AFRIQUE vous propose de faire un détour par l'histoire constitutionnelle précoloniale et de lire (ou de relire) la Charte du Manden (ou Mandé), qui aurait été proclamée en 1222 par Soudjata, fondateur de l'Empire du Mali.
Cette contribution précoce au patrimoine mondial des droits humains, que vous lirez ci-dessous dans la version transmise par les confréries de chasseurs, recueillie et traduite par Youssouf Tata Cissé (source : AFRICULTURES, Youssouf Tata Cissé dans "Soundjata, la Gloire du Mali", éd. Karthala, ARSAN, 1991), invite à méditer sur les racines du constitutionnalisme contemporain.
Les droits affirmés par la Charte du Manden ne sont-ils pas d'une étonnante modernité et d'une troublante actualité ? Peut-on continuer à affirmer péremptoirement que chaque constitution africaine, dans son volet Constitution sociale, est purement et simplement purement et simplement importée de l'ancienne métropole? Qu'elle véhicule des valeurs étrangères à l'Afrique ? La Charte du Manden pourrait-elle et/ou devrait-elle inspirer aujourd'hui les constituants, les juges et les élus ?
Au plaisir d'échanger
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
Illustration tirée du quotidien national d'information du Mali "L'ESSOR", n°16221 du 18 juin 2008 : l'entrée du site du "Mandé sigui kan" ou la Charte du Mandé
La Charte du Manden
1. Les chasseurs déclarent :
Toute vie (humaine) est une vie.
Il est vrai qu'une vie apparaît à l'existence avant une autre vie,
Mais une vie n'est pas plus "ancienne", plus respectable qu'une autre vie,
De même qu'une vie n'est pas supérieure à une autre vie.
2. Les chasseurs déclarent :
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s'en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable.
3. Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur son prochain,
Que chacun vénère ses géniteurs,
Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
Que chacun "entretienne", pourvoie aux besoins des membres de sa famille.
4. Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur le pays de ses pères.
Par pays ou patrie, faso,
Il faut entendre aussi et surtout les hommes ;
Car "tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface
Deviendrait aussitôt nostalgique."
5. Les chasseurs déclarent :
La faim n'est pas une bonne chose,
L'esclavage n'est pas non plus une bonne chose ;
Il n'y a pas pire calamité que ces choses-là,
Dans ce bas monde.
Tant que nous détiendrons le carquois et l'arc,
La faim ne tuera plus personne au Manden,
Si d'aventure la famine venait à sévir ;
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C'est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable
Pour allez le vendre ;
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu'il est fils d'esclave.
6. Les chasseurs déclarent :
L'essence de l'esclavage est éteinte ce jour,
"D'un mur à l'autre", d'une frontière à l'autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.
Quelle épreuve que le tourment !
Surtout lorsque l'opprimé ne dispose d'aucun recours.
L'esclave ne jouit d'aucune considération,
Nulle part dans le monde.
7. Les gens d'autrefois nous disent :
"L'homme en tant qu'individu
Fait d'os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d'aliments et de boissons ;
Mais son "âme", son esprit vit de trois choses :
Voir qui il a envie de voir,
Dire ce qu'il a envie de dire
Et faire ce qu'il a envie de faire ;
Si une seule de ces choses venait à manquer à l'âme humaine,
Elle en souffrirait
Et s'étiolerait sûrement."
En conséquence, les chasseurs déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Chacun dispose désormais des fruits de son travail.
Tel est le serment du Manden
A l'adresse des oreilles du monde tout entier.
Youssouf Tata Cissé
Texte réécrit par Youssouf Tata Cissé dans "Soundjata, la Gloire du Mali", éd. Karthala, ARSAN, 1991