La Cour Constitutionnelle du Bénin, désormais présidée par Me Robert Dossou, a rendu, le 21 août 2008, deux décisions, dont la presse s'est faîte l'écho. C'est moins la correction juridique des décisions que le rejet des prétentions des requérants qui a retenu l'attention : l'opposition déboutée a dénoncé la partialité de la Cour Constitutionnelle qui serait devenue, depuis le dernier renouvellement, le bras armé du Palais de la Marina - la résidence officielle du Président de la République. La haute juridiction ne serait digne de respect qu'à la condition de donner raison aux contestataires qui détiendraient ès qualités la vérité du droit ! Vous me direz que, partout dans le monde, les politiciens tiennent ce type de raisonnement lorsqu'un juge leur donne juridiquement tort. Sans doute... Mais, le phénomène a pris une grande ampleur au Bénin : prise au piège d'un conflit aigu et persistant entre l'exécutif et ses opposants - majoritaires - à l'Assemblée Nationale, la Cour Constitutionnelle est désormais une cible privilégiée des politiciens, alors qu'en droit elle ne démérite pas, loin s'en faut.
Il faut dire que les détracteurs de la Cour Dossou n'ont eu de cesse de l'attaquer. La Cour Ouinsou a dû, d'abord, vider le contentieux de la désignation des juges de la quatrième mandature ; et rejeter de lourdes contestations, tant sur la procédure (voir "Quand la Cour Constitutionnelle valide la Cour Constitutionnelle") que sur le fond (voir la décision DCC 08-067 du 6 juin 2008). C'est ensuite la décision DCC 08-72 du 25 juillet 2008, la première « grande » décision de la Cour Dossou constatant le blocage de l'institution parlementaire et légitimant la prise d'ordonnances exceptionnelles par le Président Yayi Boni, qui a été vilipendée.
Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que les décisions du 21 août 2008 aient fait - ou feront -, à leur tour, l'objet de commentaires acerbes et immérités. Nombre de contempteurs de la Cour Dossou ne semblent pas avoir pris la peine de lire - a fortiori d'analyser - des décisions somme toute banales en droit.
Paradoxalement, la décision DCC 08-94 du 21 août 2008 est celle qui a suscité le moins de réactions, alors qu'elle concerne le devenir de la Constitution du 11 décembre 1990 : la Cour Constitutionnelle a déclaré irrecevable la requête d'un citoyen dirigée contre l'annonce d'un référendum de révision faîte par le Président de la République, à l'occasion de son discours du 31 juillet 2008. Il est très courant que la Cour soit conduite depuis 1993 à opposer une fin de non-recevoir à de nombreuses saisines, attestant du report de conscience dont elle est victime et bénéficiaire. A bon droit, la Cour a souligné en l'espèce « que le message à la Nation du Président de la République n'est pas une loi, ou un texte susceptible d'être soumis au contrôle de constitutionnalité [...]; que par ailleurs, l'engagement de soumettre au référendum le projet de révision de la Constitution n'est pas une décision pouvant modifier l'ordonnancement juridique ». Si, en attendant un recours à l'encontre de la prochaine décision présidentielle, elle laisse entière la problématique "Toilettage ou nouvelle Constitution au Bénin?", cette solution impeccable démontre que la Cour Constitutionnelle ne peut ni ne veut tout faire. La sagesse même pour une Cour déjà très sollicitée et puissante...
La décision DCC 08-095 du 21 août 2008 est intervenue, quant à elle, dans le domaine très sensible de la régulation du secteur audiovisuel, libéralisé par la loi n°97-010 du 20 août 1997. Il faut rappeler que la Cour Constitutionnelle Ouinsou a désavoué à deux reprises la HAAC (Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication), en conflit avec le Gouvernement: à la demande du Président de la République, elle a annulé, par décision DCC 08-021 du 28 février 2008, l'attribution de fréquences par l'instance de régulation ; dans sa décision DCC 08-045 du 2 avril 2008, elle a validé la mise hors tension et sous scellés, par le ministre de la communication, des équipements d'une radio privée émettant en violation de sa précédente décision. Juridiquement fondées, les décisions de la Cour Constitutionnelle ont été vertement critiquées et ont inspiré le dépôt, par le député Sacca Fikara et 12 autres de ses collègues, d'une proposition de loi organique modifiant la loi organique n°92-021 du 21 août 1992 sur la HAAC. La proposition, déposée le 9 juin 2008 et affectée le 7 juillet à la Commission des lois, ambitionnait d'affermir l'indépendance de la HAAC par rapport au Gouvernement:
- d'une part, le mode de désignation de la HACC serait réaménagé au profit de la plénière - et non plus du bureau - de l'Assemblée Nationale qui choisirait 5 des 9 membres, et aux dépens du Président de la République qui ne nommerait plus qu'1 membre - au lieu de 3;
- d'autre part, les membres de la HAAC pourraient être reconduits pour un quinquennat - alors que leur mandat n'est pas actuellement renouvelable;
- enfin et surtout, le Gouvernement perdrait la possibilité de bloquer indéfiniment l'attribution de fréquences par la HAAC, alors qu'aujourd'hui, en l'absence de rapport technique du ministère de la communication, l'instance de régulation ne peut autoriser l'exploitation d'une radio ou d'une télévision.
Appelée à trancher un conflit opposant le Président de la République et le Président de l'Assemblée Nationale sur la recevabilité - et non la constitutionnalité - de la proposition de loi organique, la Cour Constitutionnelle, sur le fondement de l'article 104 de la Constitution, a rendu la décision DCC 08-095 du 21 août 2008. Elle a jugé que la fixation des modalités de gestion des fréquences ne relevait pas du domaine de la loi délimité par l'article 98 de la Constitution et, par suite, a déclaré irrecevable la proposition querellée. La Cour Constitutionnelle a fait une application draconienne de la Constitution, mais une application qui s'inscrit en droite ligne de sa politique jurisprudentielle habituelle. En régime présidentiel, il est parfaitement cohérent que les domaines de compétences normatives du législatif et de l'exécutif soient strictement séparés. Avec un souci pédagogique évident, la Cour a tenu à préciser
« que l'irrecevabilité de l'article 104 de la Constitution a pour seul objet de protéger la compétence réglementaire telle qu'elle résulte des articles 98 et 100 de la Constitution ; que la Cour Constitutionnelle, lorsqu'elle est saisie, en application de l'article 104 de la Constitution, d'une proposition ou d'un amendement auquel le gouvernement a opposé l'irrecevabilité prévue audit article, ne peut statuer que sur la seule question de savoir si ladite proposition ou ledit amendement est du domaine de la loi ou a un caractère réglementaire ; qu'elle ne saurait donc à ce titre se prononcer sur la conformité du contenu de ces textes à la Constitution, conformité qui ne pourrait faire l'objet de son appréciation que si elle en était saisie dans les conditions prévues à l'article 123 de la Constitution »
Malgré ce, la décision DCC 08-095 du 21 août 2008 a été clouée au pilori dans une partie de la presse, plutôt défavorable au Président Yayi Boni :
- Me Joseph Djogbénou a affirmé que la Cour Constitutionnelle avait commis une erreur de droit: elle aurait dû formuler un avis et non rendre une décision. Cette appréciation, de nature à jeter le discrédit sur la Cour et qui fait la une, ne résiste pas à la lecture croisée des dispositions pertinentes : statuer n'est-ce pas décider?
- Surtout, on a pu lire que "la Cour de Robert Dossou veut embraser le Bénin". A l'appui de cette assertion, le journaliste voit dans la décision incriminée un obstacle à ce que l'Assemblée Nationale puisse retoucher la loi organique sur la HAAC, alors que la Cour a admis la recevabilité de la proposition sur la modification du mode de désignation des conseillers de la HAAC et de la réglementation de leur mandat. Il est aussi reproché à la Cour d'avoir statué avec célérité, autrement dit d'avoir respecté le délai de 8 jours qui lui est imparti. Enfin, le journaliste suggère que la représentation nationale, avec le concours des populations, pourrait résister à la décision DCC 08-095 du 21 août 2008. N'est-ce pas là un singulier appel à la désobéissance qui pourrait compromettre l'enracinement exemplaire au Bénin d'un Etat de droit et de démocratie pluraliste?
Ces quelques lignes pourraient me faire passer, à tort, pour le conseiller juridique occulte ou le griot d'un pouvoir contesté. J'ai déjà subi ce genre de mésaventure et ai dû répliquer dans "le constitutionnaliste et la révision au Cameroun". C'est que, décidément, le droit et la politique ne font pas - pas toujours ! - bon ménage : le droit a ses raisons que la politique ne connaît pas ; le politique ne peut pas tout obtenir par le droit.
N'empêche que la Cour Constitutionnelle du Bénin jusqu'à présent est restée égale à elle-même : elle a dit la Constitution et la Constitution est ce qu'elle a dit.
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
Université Paul Valéry - Montpellier 3
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