A l'Assemblée Nationale du Bénin, la mouvance présidentielle – minoritaire – et l’opposition non déclarée – majoritaire – (cf. Statut de l'opposition au Bénin: pour quoi faire?) continuent de s’affronter dans une sorte de guerre parlementaire légale sans merci, où tous les coups constitutionnels sont permis. Les instruments de procédure prévus par la Constitution du 11 décembre 1990 et le règlement intérieur de l'Assemblée Nationale apparaissent dans l’hémicycle comme autant d’armes à la disposition des protagonistes : le projet de destitution du Président de l'Assemblée Nationale est toujours pendant ; les ouvertures des sessions parlementaires sont régulièrement boycottées ; l’établissement de l’ordre du jour donne lieu à des passes d’armes ; la direction des séances est très contestée ; de vifs échanges opposent députés et ministres lors des séance de questions ; la mise sur pied de commissions d’enquête parlementaires se banalise ; et les sollicitations de la Cour Constitutionnelle se multiplient, tandis que ses décisions (cf., notamment, DCC 09-002: le bon grain et l'ivraie ) sont contestées et tardent à être exécutées.
C’est dans ce contexte délétère que s’inscrit le dépôt sur le bureau de l'Assemblée Nationale, conformément aux articles 71 et 113 de la Constitution, par des députés de l’opposition non déclarée de demandes d’interpellation du Président de la République :
* celle du 14 mai 2009, introduite par 15 députés (sur 83), mettant en cause des déclarations et comportements du ministre Nicaise Fagnon ; cette demande a été acceptée en séance plénière - l’interpellation est une prérogative de la représentation nationale et non d’une fraction de celle-ci - le 2 juin 2009, par 40 voix pour 1 contre et 0 abstention ;
Des élus ou partisans de la mouvance présidentielle ont prétendu que la première demande d’interpellation contrevenait à la loi fondamentale parce qu’elle vise le Président de la République au lieu du ministre et qu’elle dénoncerait des agissements étrangers à l’exercice des fonctions ministérielles.
Nourou Dine SAKA SALEY, juriste, auteur d’un blog (http://myreadineblog.blogspot.com/) discute ces points de droit dans
Pour la bonne compréhension de l’affaire et de ses suites, il faut noter que la Constitution du 11 décembre 1990 aménage un régime présidentiel qui repose sur la séparation concurrentielle des pouvoirs législatif et exécutif et sur leur irrévocabilité mutuelle. L’interpellation – instrument emprunté au parlementarisme – s’y analyse comme un droit de remontrance constructive (cf. Stéphane BOLLE, Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine par la Constitution, thèse droit public, Montpellier, 1997, p. 466 et s.). Le Chef de l’Etat et du gouvernement interpellé n’a pas à s’expliquer en personne devant l'Assemblée Nationale – il ne l’a jamais fait ; il peut se faire représenter par un ministre – le ministre de la justice a annoncé, le 14 juin 2009, sur la chaîne de télévision privée Canal 3, que le Président Yayi Boni, à l’instar de ses prédécesseurs, usera de cette faculté. Ni le Président de la République interpellé, ni le ministre épinglé, ne peut être démissionné par la majorité parlementaire. Les recommandations que l'Assemblée Nationale peut faire, à l’issue de la procédure, ne lient pas l’exécutif. La mise en cause du gouvernement et de son chef peut donc être sans influence réelle sur leurs actes et leur gestion.
En l’espèce, le Président de la République a déjà riposté à ses opposants non déclarés : non seulement ses ministres ont publiquement contesté le fond de l’interpellation mais encore il a reconduit Nicaise Fagnon, au poste de Ministre Délégué auprès du Président de la République, Chargé des Transports Terrestres, des Transports Aériens et des Travaux publics, dans son 4ième gouvernement formé par Décret 2009-260 du 12 juin 2009.
Un coup pour rien ?
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/