Il est de bon ton de railler la propension des constituants africains à dupliquer la Constitution française du 4 octobre 1958. Mais imaginer que le constituant français puisse puiser dans les constitutions africaines pour adapter une V° République épuisée, apparaît comme une vue de l’esprit. Et pourtant…
Nul n’ignore que la France s’apprête à graver dans le marbre de sa Constitution le présidentialisme, c’est-à-dire à officialiser le gouvernement présidentiel, né de conventions de la Constitution, contraires à la lettre des articles 20 et 21 de la Constitution. C’est là la mission première que Nicolas Sarkozy a confiée au comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V° République. Le comité Balladur doit précisément « examiner dans quelle mesure les articles de la Constitution qui précisent l'articulation des pouvoirs du Président de la République et du Premier ministre devraient être clarifiés pour prendre acte de l'évolution qui a fait du Président de la République le chef de l'exécutif ». Clarification rimera donc avec présidentialisation, au risque de faire perdre au texte constitutionnel une souplesse, toujours appréciée, souvent saluée ; au risque de rendre impraticable une nouvelle cohabitation, toujours possible, nonobstant le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Le chambardement annoncé ne commande-t-il pas de porter son regard « ailleurs », de mettre au jour les modèles étrangers, dont le comité Balladur pourrait s’inspirer pour constitutionnaliser le présidentialisme ?
Dans l’affirmative, la Constitution russe de 1993 (art. 80.3) et, surtout, les constitutions africaines francophones méritent une attention particulière. Contrairement à une idée reçue, les textes africains contemporains ne sont pas – tout du moins dans leur intégralité – de pâles copies de la Constitution du 4 octobre 1958. Nombre de lois fondamentales organisent un régime semi-présidentiel, avec un exécutif dualiste hiérarchisé : le Président de la République y est désigné comme le chef incontesté de l’exécutif ; la subordination du Gouvernement au Président de la République est plus ou moins accusée. Le comité Balladur serait bien inspiré de consulter les différentes variantes offertes par les constitutions africaines, avant de choisir la formule la plus adaptée au présidentialisme à la française, qui ne saurait avoir pour seul horizon le quinquennat de l’élu du 6 mai 2007. Les variantes en question dessinent un président plus ou moins gouvernant, flanqué d’un premier ministre, chef d’un gouvernement plus ou moins (in)existant. A titre d’exemples, on citera quelques textes :
- Selon la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, « Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la nation et en assume la responsabilité. - Le Gouvernement conduit la politique de la nation » (art. 91).
- Aux termes la Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, « Le Président du Faso est le chef de l’Etat. – Il veille au respect de la Constitution. Il fixe les grandes orientations de la politique de l’Etat » (art. 36) ; « Le Gouvernement est un organe de l’exécutif. – Il conduit la politique de la nation » (art. 61).
- Au Gabon, la Constitution du 26 mars 1991 dispose que le Président de la République « détermine, en concertation avec le Gouvernement, la politique de la nation. Il est le détenteur suprême du pouvoir exécutif qu’il partage avec le Premier ministre » (art. 8) ; « Le Gouvernement conduit la politique de la nation, sous l’autorité du Président de la République et en concertation avec lui » (art. 28).
- Selon la Constitution de la République de Madagascar du 18 septembre 1992, révisée en 1995, 1998 et 2007, « Le Président de la République : 6° détermine et arrête, en Conseil des ministres, la politique générale de l’Etat » (art. 54) ; « Le Premier ministre, chef du Gouvernement : 1° met en œuvre la politique générale de l’Etat » (art. 64).
Les textes précités solutionnent bien les problèmes pointés dans la lettre de mission du comité Balladur. Il se pourrait donc que le comité suggère prochainement – sans le savoir ? – de dupliquer des solutions, voire des formules, très voisines de celles qui figurent dans les constitutions africaines d’aujourd’hui. Si cette intuition devenait réalité, le constitutionnaliste devrait en tirer les leçons, prendre enfin au sérieux des régimes constitutionnels « exotiques », que la France pourrait - à tort ou à raison - copier, … à la manière de Monsieur Jourdain.
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public