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  • : LA CONSTITUTION EN AFRIQUE
  • : LA CONSTITUTION EN AFRIQUE est un espace d’expression, de réflexion et d’échanges dédié au(x) droit(s) constitutionnel(s) en mutation dans cette partie du monde
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  BOLLE STEPHANE 

Stéphane BOLLE

Maître de conférences
HDR en droit public
Université Paul Valéry - Montpellier III 
 

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BIENVENUE

La Constitution en Afrique est un espace d'expression, de réflexion et d'échanges dédié au(x) droit(s) constitutionnel(s) en mutation dans cette partie du monde.
Ce site propose un regard différent sur l'actualité constitutionnelle foisonnante des pays africains. Il ne s'agit pas de singer les gazettes ou les libelles, de s'abîmer dans une lecture partisane des constitutions, des révisions, des pratiques et des jurisprudences. Sans angélisme ni scepticisme, il urge d'analyser, en constitutionnaliste, une actualité constitutionnelle largement méconnue et passablement déformée.
La Constitution en Afrique se conçoit comme l'un des vecteurs du renouvellement doctrinal qu'imposent les changements à l'œuvre depuis la décennie 1990. La chose constitutionnelle a acquis dans la région une importance inédite. Il faut changer de paradigme pour la rendre intelligible ! C'est d'abord au constitutionnaliste de jauger le constitutionnalisme africain contemporain, ses échecs - toujours attestés -, ses succès - trop souvent négligés. Sans verser ni dans la science politique, ni dans un positivisme aveugle, le constitutionnaliste peut et doit décrypter la vie constitutionnelle, en faisant le meilleur usage des outils de la science actuelle du droit.
La Constitution en Afrique est enfin un forum, un lieu ouvert à la participation des chercheurs débutants ou confirmés qui souhaitent confronter leurs points de vue. N'hésitez pas à enrichir ce site de commentaires, de réactions aux notes d'actualité ou de lecture, de billets ou de documents. Vos contributions sont attendues.

Au plaisir d'échanger avec vous

 

 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
Université Paul Valéry - Montpellier III

 

3 octobre 2008 5 03 /10 /octobre /2008 07:30

Le 25 septembre 2008, Antoine Gizenga, Premier Ministre de la République Démocratique du Congo depuis une ordonnance présidentielle du 30 décembre 2006, a présenté au Président de la République sa démission. Le patriarche de la vie politique nationale a officiellement invoqué son âge et sa santé pour justifier son départ volontaire. Cependant, il convient de signaler qu'Antoine Gizenga se trouvait sous la menace d'une interpellation susceptible d'entraîner le renversement du gouvernement qu'il dirigeait par l'Assemblée Nationale : après le report, pour vice de forme, le 20 mars 2008, d'une première motion (cf. Interpellation du Premier Ministre Gizenga en RD du Congo: les leçons du report et Interpellation du Premier Ministre Gizenga en RD du Congo: les leçons du report (2)), la procédure a été finalement reprise et une motion d'interpellation venait d'être inscrite à la séance plénière du 24 septembre 2008. La démission du Premier Ministre a opportunément rendu sans objet la discussion à l'Assemblée Nationale d'une éventuelle sanction de la politique - contestée - du gouvernement Gizenga...

 

Mais, c'est autre aspect de l'affaire qui a suscité la controverse : quelles sont les conséquences juridiques de la démission personnelle du Premier Ministre sur le sort du Gouvernement? Des universitaires sont intervenus dans la presse pour livrer la - leur - « bonne » lecture de la Constitution du 18 février 2006, sachant que le texte suprême n'envisage expressément que la démission - collective - du gouvernement et pas celle - individuelle - de son chef. Je vous invite à lire et à commenter à ce propos, deux tribunes contradictoires parues dans le journal LE POTENTIEL :

 

 

 

Lors d'un Conseil des Ministres extraordinaire, le 30 septembre 2008, la controverse a été vidée dans le sens indiqué par le second opinant : le Président de la République a acté que, du fait de la démission du seul Premier Ministre, le Gouvernement Gizenga était réputé démissionnaire et que ses membres devaient expédier les affaires courantes jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement.

 

Quand le Premier Ministre de la République Démocratique du Congo s'en va, c'est - un peu - à cause de la Constitution qui établit un régime - au moins en partie - parlementaire ; et c'est la Constitution appliquée par le pouvoir politique qui solutionne les questions afférentes.

 

De quoi donner du grain à moudre aux amis et visiteurs de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE !

 

Au plaisir d'échanger

 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/

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24 septembre 2008 3 24 /09 /septembre /2008 16:22

La Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo sera à nulle autre pareille, lorsque « sa » loi organique - prévue par l'article 169 de la Constitution de 2006 - sera votée et promulguée. Contrairement à ce que d'aucuns pourraient présumer, le texte à venir ressemblera ni à l'ordonnance organique sur le Conseil Constitutionnel français, ni à la loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle belge (nouvelle dénomination de la Cour d'arbitrage depuis une révision constitutionnelle de 2007), ni à aucune des lois organiques en vigueur dans un autre pays africain et accessible sur le site de l'ACCPUF. De quoi tordre le coup à toute présomption de mimétisme aveugle ! Le texte à venir ne sera pas davantage d'initiative gouvernementale ou présidentielle ; il ne procédera pas d'un vote bâclé par une chambre d'enregistrement des volontés de l'exécutif. Pour se faire une idée assez précise de la future loi organique sur la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo, il convient d'examiner

 

LE RAPPORT DE LA COMMISSION POLITIQUE, ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE, en date du 9 juin 2008

 

, que vous trouverez sur votre site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE en deux parties[1] :

 

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/RD-Congo/Rapport-1-AN-sur-CC-Congo.pdf

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/RD-Congo/Rapport-2-AN-sur-CC-Congo.zip

 

Le texte rapporté par la Commission est une version largement amendée - et améliorée - de LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE DU DEPUTE BULE, déposée à l'Assemblée Nationale le 30 octobre 2007[2]. La Commission politique, administrative et judiciaire a seulement pris en considération, en tant que document de travail, le PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE.

 

Il sera proposé, dans les lignes qui suivent, un commentaire du texte de la Commission, qui s'ajoutera aux articles

 

 

 

La future Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo sera empreinte d'une incontestable d'originalité : d'une part, trois sortes de magistrats constitutionnels y officieront (I) ; d'autre part, le droit de contestation largement ouvert devant la Cour présentera une assez grande complexité (II) ; enfin, un vrai procès constitutionnel pourra se dérouler devant la Cour (III).

 

(I)    LES TROIS SORTES DE MAGISTRATS CONSTITUTIONNELS

 

Les conseils et cours constitutionnels africains comprennent généralement une seule catégorie de membres. A la future cour congolaise, trois sortes de magistrats constitutionnels officieront: les membres proprement dits, faisant l'objet d'un profilage dont la pertinente est discutable ; des conseillers référendaires au statut assez mal défini ; des magistrats du parquet investis d'une fonction peu orthodoxe, sujette à caution.

 

  • - Les membres de la Cour: un profilage adéquat?

 

Hans Kelsen considérait qu'« Il est de la plus grande importance d'accorder dans la composition de la juridiction constitutionnelle une place adéquate aux juristes de profession », sans exclure « la collaboration des membres appelés à la défense des intérêts proprement politiques. »[3] Une combinaison de ce type est commandée par les articles 158 alinéa 2 et 159 de la Constitution de 2006 : les 2/3 des membres de la Cour doivent être des juristes ; et nul ne peut être nommé à la Cour s'il ne justifie d'une « expérience éprouvée de quinze ans dans les domaines juridique ou politique ». L'article 3 alinéa 1  2) du texte commenté (p. 6 à 8) se borne à recopier la Constitution, sans dresser, dans les deux domaines, une liste de fonctions qui, en raison de leur importance, pourraient légitimer l'accès à la charge de membre de la Cour Constitutionnelle. Le législateur organique ne devrait-il pas plutôt s'inspirer de la solution judicieusement retenue au Sénégal par l'article 4 de la loi de 1992 sur le Conseil Constitutionnel ? La Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale ne met-elle pas en danger la crédibilité des futurs juges constitutionnels lorsqu'elle estime que toute fonction partisane - et non pas seulement un mandat électif ou une fonction ministérielle - devra être prise en considération dans le décompte de la durée de l'expérience requise ? Est-il, par exemple, bien raisonnable de permettre au Président de la République ou au Parlement réuni en Congrès de choisir un « obscur » dirigeant de section locale d'un parti politique pour siéger à la Cour Constitutionnelle ?

 

Par ailleurs, l'article 3 alinéa 2 du texte commenté (p. 7 à 8) ajoute un critère à ceux prévus par la Constitution : la Commission recommande d'exclure les parents ou alliés jusqu'au troisième degré d'être au même moment membres de la Cour « afin de renforcer l'indépendance de cette dernière, en la mettant à l'abri du tribalisme, du clientélisme et du népotisme ». Cet ostracisme peut paraître bienvenu. Seulement, sa constitutionnalité est douteuse, au regard de l'article 169 de la Constitution de 2006 qui habilite le législateur organique à fixer l'organisation et le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Il convient de ne pas oublier qu'une loi organique complète ou précise la Constitution (Constit. Tchad 1996, art. 128), et, à l'instar de tout texte d'application, ne peut que la prolonger. C'est la leçon que l'on peut tirer de la jurisprudence constitutionnelle béninoise et, en dernier lieu, de la décision DCC 05-069 du 27 juillet de censure d'une loi électorale ajoutant une condition d'accès à la compétition présidentielle. N'est-il pas symptomatique que la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale rejette certains amendements pour inconstitutionnalité avant de s'affranchir - me semble-t-il - de cette règle ?

 

  • - Les conseillers référendaires: des juges?

 

Le texte rapporté par la Commission recommande la création, sur le modèle belge (loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle belge, titre II, Chapitre 2, art. 35 à 39), d'un corps de conseillers référendaires, placé sous l'autorité du Président de la Cour Constitutionnelle (art. 19 à 21, pp. 14-15). L'accès à ce corps se fera sur concours réservé aux « porteurs d'un diplôme de licence », sans autre précision. Faut-il en déduire qu'un licencié en lettres, en histoire, en sociologie ou encore en sciences économiques pourra devenir conseiller référendaire ? La réponse semble devoir être affirmative puisqu'il est précisé que les trois quarts des conseillers référendaires devront être « des juristes, justifiant d'une expérience d'au moins quinze ans ». Quid du quart restant ? Quelle valeur ajoutée pour une bonne administration de la justice constitutionnelle peut-elle être attendue de non juristes qui, de fait, pourraient être choisis, sur des critères ethniques, régionaux, religieux et/ou politiques ? Si les non juristes sont admis à concourir, quel genre d'épreuve les candidats devront-ils passer ? Le texte est muet sur ce point ; et il ne précise pas davantage la composition du jury qui devra départager les candidats.

 

Il faut aussi déplorer que la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale ait omis de rapporter sur  l'article 20 de la proposition BULE, l'article chargeant les conseillers référendaires - je cite - « d'assister la Cour dans l'étude et la préparation technique des questions lui soumises ». La Commission aurait dû non seulement corriger une malfaçon rédactionnelle flagrante, mais encore détailler le rôle exact que joueront les conseillers référendaires. Ce manque de clarté est d'autant plus regrettable que leur intervention éventuelle, à un stade quelconque de la procédure devant la Cour Constitutionnelle, n'est mentionnée nulle part. A quoi donc serviront les 60 conseillers référendaires - c'est le numerus clausus retenu par l'article 96, p. 49 - auprès des 9 membres de la Cour Constitutionnelle, sachant que le texte prévoit expressément le recours à l'expertise externe, qu'elle soit nationale ou internationale ? Seront-ils des assistants rattachés aux membres de la Cour, à l'instar des assistants parlementaires, ou des juges constitutionnels de second rang, délestant les membre de la Cour des tâches les plus fastidieuses ? Il serait sage que le législateur organique définitive tranche.

 

  • - Les magistrats du parquet: pour quoi faire?

 

Une juridiction constitutionnelle n'est pas une juridiction comme les autres. C'est pourquoi l'institution d'un « Parquet général près la Cour Constitutionnelle », exerçant « les fonctions de ministère public près cette Cour » (art. 11 à 13, pp. 11-12) peut paraître incongrue. Observons d'emblée que, sauf erreur, ce choix n'a été fait en droit positif par aucun des pays se rattachant au modèle kelsénien de justice constitutionnelle. La Constitution de 2006, en son article 149 alinéa 1, prévoit expressément que la Cour Constitutionnelle, composante du pouvoir judiciaire « indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif », est dotée, à l'instar des autres juridictions, d'un parquet, à charge pour le législateur organique de régler le statut de ses membres et de circonscrire leur fonction.

 

Le texte de la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale propose, pour l'essentiel, d'assimiler le Procureur général, du Premier Avocat général et les deux avocats généraux près la Cour Constitutionnelle, à leurs homologues des juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. Le Président de la République les nommera conformément au statut des magistrats, sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pour un mandat de 6 ans. Plusieurs difficultés méritent d'être relevés :

  • - le procureur général près la Cour Constitutionnelle sera ès qualités membre du CSM qui désignera son successeur ... ou qui le reconduira; se déportera-t-il alors même qu'aucune règle écrite ne semble l'y contraindre[4]?
  • - un mandat de 6 ans sans autre précision paraît peu indiqué, car le Président de la République pourrait fort bien repousser la proposition de reconduction du magistrat sortant du parquet près la Cour Constitutionnelle que formulerait le CSM; l'indépendance d'un tel magistrat ne serait-elle pas mieux assurée par un mandat jusqu'à la mise à la retraite ou par un mandat non renouvelable?
  • - selon toute vraisemblance, les magistrats du parquet près la Cour Constitutionnelle ont les mêmes droits et devoirs statutaires que les autres magistrats; est-ce compatible avec leur éminente position institutionnelle? est-il recommandable que, conformément à la Loi organique n° 06/020 du 10 octobre 2006, ils puissent, par exemple, faire l'objet de poursuites disciplinaires et être, le cas échéant, révoqués?

En somme, il convient de s'interroger sur l'indépendance du parquet général près la Cour Constitutionnelle et sur les raisons qui ont conduit à envisager qu'ils ne bénéficient pas des garanties exorbitantes du droit commun reconnues aux membres de la Cour Constitutionnelle.

 

La réflexion doit aussi porter sur le rôle dévolu au parquet général près la Cour Constitutionnelle. Celui-ci sera tout à fait significatif dans le règlement du contentieux constitutionnel : le ministère public recevra communication du dossier de procédure en vue de formuler, dans un délai de 15 jours francs, un avis - écrit semble-t-il -, après les conclusions des parties et avant l'intervention du Rapporteur (art. 36, p. 21) ; et c'est après avis du ministère public que le Président de la Cour Constitutionnelle confiera le dossier à un membre de la Cour pour rapport (art. 38, p. 23). Pour apprécier la portée de telles interventions, il faudrait décrypter les arrêts rendus depuis 2006 en matière constitutionnelle par la Cour Suprême de Justice : la Cour se prononce-t-elle ou non dans le sens proposé par le parquet ?

 

Le constitutionnaliste devrait, en définitive, se demander dans quelle mesure le parquet général près la Cour Constitutionnelle s'écarte plus ou moins des préconisations - non suivies d'effets en Europe et en Afrique - qu'a faîtes naguère Hans Kelsen :

« Une institution tout à fait nouvelle mais qui mériterait la plus sérieuse considération serait celle d'un défenseur de la Constitution auprès du tribunal constitutionnel qui, à l'instar du ministère public dans la procédure pénale, aurait à introduire d'office la procédure du contrôle de constitutionnalité pour les actes qu'il estimerait irréguliers. Il va de soi que le titulaire d'une semblable fonction devrait être revêtu de toutes les garanties imaginables d'indépendance vis-à-vis tant du gouvernement que du Parlement »[5].

Vous trouverez prochainement la suite de « Vers une Cour Constitutionnelle à la congolaise » sur votre site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE

 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/



[1] Le téléchargement du Rapport peut prendre du temps : il s'agit de fichiers assez lourds, respectivement de 7,85 Mo et 7,59 Mo.

[2] Le téléchargement de la proposition peut prendre du temps : il s'agit d'un fichier assez lourd, de 6,88 Mo.

[3] Hans Kelsen « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice constitutionnelle) », R.D.P., 1928, p. 227.

[4] L'article 63 du statut des magistrats sur les récusations, lequel renvoie à l'article 71  du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires , ne s'applique qu'en matière disciplinaire. En dehors de cette matière, la loi organique de 2008 sur le Conseil Supérieur de la Magistrature ne prévoit expressément aucune règle.

[5] Hans Kelsen, op. cit., p. 247.

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19 septembre 2008 5 19 /09 /septembre /2008 10:30

En République Démocratique du Congo, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) de la Constitution du 18 février 2006 est désormais doté de « sa » loi organique :

 

LA LOI ORGANIQUE N° 08/013 DU 05 AOUT 2008 PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE

 

Ce texte, issu d'une proposition de loi organique, et validé par la Cour Suprême de Justice, dans son arrêt R.const.069 du 30 juillet 2008, au titre du contrôle de constitutionnalité obligatoire, consacre une institution chahutée avant même d'être installée. Chahutée, d'abord, par la tentative avortée de l'automne 2007 de confier, via une révision de la Constitution, la présidence du CSM au Chef de l'Etat. Chahutée, ensuite, par les ordonnances d'organisation judiciaire du 9 février 2008 prises par le Président de la République, sans l'avis d'aucun CSM.

 

Désormais, les obstacles juridiques à l'installation du Conseil Supérieur de la Magistrature, rouage essentiel pour l'application diligente de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, sont levés. En particulier, dans l'attente et en fonction de la mise en place progressive de certaines juridictions - dont la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat-, les articles 44 à 46 de la loi organique n°08/013 du 05 août 2008 règlent transitoirement la composition du CSM. Seulement, si l'opérationnalité de l'institution est assurée, son indépendance réelle peut être discutée : certains des membres éminents du CSM transitoire - parmi lesquels le Premier Président de la Cour Suprême de Justice et le Procureur Général de la République - n'ont-ils pas été nommés le 9 février 2008 lorsque le Président de la République a signé les ordonnances fort controversées d'organisation judiciaire ?

 

Vous observerez que le Conseil Supérieur de la Magistrature de la Constitution du 18 février 2006 et de la loi organique n°08/013 du 05 août 2008 n'est le clone d'aucune institution de ce type: il ne saurait être assimilé ni au CSM français, ni au Conseil Supérieur de la Justice belge, ni à aucun autre CSM d'Afrique, connu des parlementaires congolais. Il y a là une nouvelle illustration de la propension à édicter un droit constitutionnel matériel "made in" Afrique. De quoi tordre le coup à toute présomption de mimétisme aveugle !

 

Reste la question capitale que je verse au débat : le Conseil Supérieur de la Magistrature de la République Démocratique du Congo a-t-il été correctement configuré pour garantir l'indépendance de la magistrature[1] ?


Au plaisir d'échanger
 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/

 


[1] Voir sur le sujet "L'indépendance de la justice", Actes du deuxième congrès de l'AHJUCAF, Dakar - 7 et 8 novembre 2007.

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10 septembre 2008 3 10 /09 /septembre /2008 15:06

La Constitution territoriale de la République Démocratique du Congo prend forme. En application de la Constitution du 18 février 2006, a été promulguée par le Président Joseph Kabila la

 

LOI N°08/012 DU 31 JUILLET 2008 PORTANT PRINCIPES FONDAMENTAUX RELATIFS A LA LIBRE ADMINISTRATION DES PROVINCES

 

Ce texte donne l'occasion de s'interroger : la République Démocratique du Congo, Etat « uni et indivisible » (art. 1er alinéa 1 de la Constitution), composé de la ville de Kinshasa et de 25 provinces dotées de la personnalité juridique (art. 2 alinéa 1), c'est-à-dire d'entités territoriales bénéficiant d'une large autonomie de gestion garantie par la Constitution (art. 2 à 4 et titre III, Chapitre 2), doit-elle être qualifiée d' « Etat régional » ?

 

Le Professeur NTUMBA-LUABA LUMU, dans son manuel[1], donne un aperçu de ce système de décentralisation très poussée, qui a cours en Espagne et en Italie et qui a débouché en Belgique sur le fédéralisme :

 

« La régionalisation constitutionnelle ou le régionalisme constitutionnel va très loin dans le sens d'un desserrement ou relâchement des contraintes étatiques mais sans pour autant utiliser la forme fédérale de l'Etat. L'autonomie laissée à certaines collectivités locales ou à toutes dépasse le niveau de la simple décentralisation et se trouve consignée dans la constitution, avec une détermination des matières. [...] L'Etat régionalisé apparaît comme un Etat unitaire complexe.

Déjà, M. Prélot et J. Boulouis considéraient que, sous l'effet de la déconcentration et de la décentralisation, l'Etat unitaire prenait une physionomie altérant grandement sa simplicité primitive, le rapprochant sensiblement de L'Etat pluralitaire ou fédéral. Les affinités sont telles que des juristes, dont M. Hans Kelsen, estiment qu'entre un Etat décentralisé et un Etat fédéral, la différence est de degré et non de nature.

Le régionalisme constitutionnel aurait pu s'identifier au fédéralisme s'il ne subsistait pas un certain contrôle de l'Etat sur les communautés ou régions autonomes. Ce contrôle, par certains traits, s'apparente à la tutelle qui s'exerce dans le cadre de la décentralisation et que l'on ne retrouve pas dans le système fédéral. [...]

La régionalisation constitutionnelle peut constituer une étape significative vers le fédéralisme dont elle se rapproche le plus. En Belgique, la constitution du 7 février 1831 a connu des révisions en décembre 1970, juillet 1980, juillet 1988 et juin 1989, qui ont transformé progressivement un Etat à structure unitaire en un Etat de type fédéral. Au système central de gouvernement viendra s'ajouter un système régional de gouvernement, organisé autour de trois Régions : la Wallonie, la Flandre et Bruxelles - Capitale. Chacune des collectivités politiques régionales dispose d'autorités élues, en particulier d'un gouvernement et d'une assemblée, fonctionnant selon les règles d'un régime parlementaire. C'est donc à juste titre que Pierre Pactet donne la Belgique comme exemple type du passage « de la décentralisation de type ethnique et linguistique au fédéralisme ».

La Région se substitue à l'Etat pour l'élaboration des politiques et la gestion des affaires régionales : aménagement du territoire, urbanisme, environnement, économie, transports, communications ...

Au double système gouvernemental, central et régional, se superpose un système communautaire de gouvernement, organisé autour de trois collectivités politiques : les communautés française, flamande, et germanophone. Chaque communauté remplace l'Etat pour la définition des politiques et la gestion des affaires communautaires : culture, enseignement, radiodiffusion et télévision, médecine préventive, protection de la jeunesse... jusqu'à une représentation de la communauté wallonne - française à l'extérieur, dans certains pays.

Cet étagement ou plutôt cette superposition et même, imbrication d'institutions centrales, régionales et communautaires ont fait que Marcel Prélot et Jean Boulouis parlent dans le cas belge, d'un « régionalisme diversifié» .

Prélot et Jean Boulouis parlent dans le cas belge, d'un « régionalisme diversifié». La révision constitutionnelle du 5 mai 1993 a franchi un pas décisif, en écrivant noir sur blanc, à l'article 1 er de la constitution, que « la Belgique est un Etat fédéral qui se compose des communautés et des Régions» ».

 

La Constitution territoriale de la République Démocratique du Congo est-elle bien celle d'un « Etat régional », que l'on peine souvent à différencier d'un Etat fédéral ? Est-elle comparable au système retenu par la Constitution du 1er août 1964 dite de Luluabourg ?  Comment se situe-t-elle par rapport au projet de Constitution de la République fédérale du Congo arrêté en 1992 par la Conférence Nationale Souveraine, projet qui avait été sévèrement critiqué ? Autrement dit, faut-il se livrer aux poisons et aux délices de la taxinomie ou bien considérer qu'en République Démocratique du Congo se construit une forme d'Etat unique en son genre ?

 

Je vous laisse le soin d'apporter des éléments de réponse (im)pertinents à ce questionnement complexe. C'est avec intérêt que je mettrai en ligne vos commentaires avisés.

 

Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/

 


 

[1] NTUMBA-LUABA LUMU, Droit constitutionnel général, Kinshasa, Editions universitaires africaines, 2005, p. 64 à 69.

 

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17 juillet 2008 4 17 /07 /juillet /2008 08:57


LA CONSTITUTION EN AFRIQUE
a le plaisir de vous proposer en avant-première une réflexion critique de Me Marcel Wetsh'okonda Koso Senga, menée en collaboration avec Me Valentin Makidi Kombe, réflexion portant sur la tentative avortée de l'automne 2007 de révision de la Constitution du 18 février 2006 de la République Démocratique du Congo. Je vous invite à la lire et la commenter sans modération, pour compléter le propos de * RD Congo. Faut-il déjà réviser la Constitution de 2006?

 

 

L'ECHEC

DE L'INITIATIVE DE REVISION CONSTITUTIONNELLE

DU 5 NOVEMBRE 2007

 

 

 

Par Marcel Wetsh'okonda Koso Senga,

avocat au Barreau près la Cour d'appel de Kinshasa/Gombe, titulaire d'un diplôme de troisième cycle en droits fondamentaux de l'Université de Nantes/France, candidat au Diplôme d'études supérieures en droit public à la faculté de droit de l'Université de Kinshasa et ancien directeur exécutif de la Campagne pour les droits de l'homme au Congo (CDHC-ASBL), marcwetshk@yahoo.fr

 

avec la collaboration de Valentin Makidi Kombe, avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe et directeur administratif et financier de la Campagne pour les droits de l'homme au Congo (CDHC-ASBL)

 

1. INTRODUCTION

 

L'un des traits marquants du constitutionnalisme africain des années 1970  à 1990 est l'instabilité constitutionnelle. Les constitutions subissaient alors d'incessantes révisions dont certaines dissimulaient à peine des véritables fraudes à la constitution[1]. L'expérience congolaise en constitue malheureusement la plus éloquente illustration tant en quarante six ans d'indépendance, cet Etat a connu dix constitutions successives sans compter de multiples révisions dont les dix-sept recensées rien que pour la Constitution du 24 juin 1967[2] et de nombreux projets de constitution.

 

 

Les conséquences de cet état de choses se laissent facilement deviner, la plus nocive d'entre elles étant la dévalorisation[3] ou la perte du prestige de la constitution[4]  et à travers elle, celle du droit tout court dont elle constitue la matrice d'autant plus qu'à force de révisions, celle-ci finit par revêtir un caractère purement spéculatif ou théorique, ineffectif ou virtuel, dépourvu qu'elle est de toute portée pratique.

 

A cela s'ajoute, sur le plan de la recherche scientifique comme celui de l'enseignement du droit, l'impossibilité matérielle d'accéder à une connaissance plus ou moins parfaite des  constitutions pour le moins fuyantes, d'émettre des critiques constructives à leur  égard et d'en partager la connaissance[5].

 

On comprend dès lors pourquoi, à l'instar de la quasi-totalité de ses homologues africains post conférences nationales[6], l'une des préoccupations majeures du constituant du 18 février 2006 n'était autre que de faire la différence avec ses prédécesseurs en mettant sur pieds une constitution non pas immuable, pareille quête étant non seulement insensée mais également vouée à l'échec, mais pérenne[7].

 

Les bonnes constitutions, en effet, sont celles qui trouvent le juste milieu  entre deux extrêmes à savoir la tendance déjà stigmatisée aux révisions intempestives d'une part et d'autre part la rigidité excessive, laquelle ne laisse d'autre choix pour l'adaptation aux réalités mouvantes de la vie politique qu'au recours à la violence sous forme de la révolution ou du coup d'état[8]. A cet effet, elles comportent en leur sein des dispositions relatives à leur révision ou au pouvoir constituant dérivé, dispositions à travers lesquelles elles prennent le soin de déterminer les autorités compétentes en la matière, la procédure applicable mais aussi les limites opposées à la révision ainsi que  la sanction des mêmes dispositions[9].

 

Il résulte de l'examen desdites dispositions que, d'une manière générale, la compétence en matière de révision constitutionnelle est partagée entre le Parlement, l'exécutif, spécialement le Président de la République et le peuple.

 

Quant à la procédure de révision constitutionnelle, son initiative est reconnue à chacun des acteurs précités agissant respectivement par voie de proposition de loi, de projet de loi ou de pétition, son bien fondé est apprécié par les élus du peuple  tandis que la décision définitive revient tantôt au Parlement, ce qui  vaut à ce dernier l'appellation de pouvoir constituant dérivé, tantôt au peuple.

 

En ce qui concerne les limites à la révision constitutionnelle, elles portent soit sur le fond soit sur la forme. Dans le premier cas, sont généralement soustraites à la révision constitutionnelle les dispositions relatives à la forme républicaine du gouvernement tandis que dans le second cas, la révision constitutionnelle est prohibée avant l'écoulement d'un délai déterminé, dans certaines circonstances telles que l'état de guerre, l'état de siège ou l'état d'urgence, l'intérim du Président de la République en même temps qu'à la différence des lois ordinaires, elle est soumise au vote moyennant un quorum renforcé.

 

Enfin, en guise de sanction de ces différentes conditions de fond et de forme, il est prévu l'intervention de la Cour constitutionnelle en vue de sanctionner la régularité ou la validité de ladite révision constitutionnelle.

 

A la différence de ses prédécesseurs, le constituant du 18 février 2006 s'est illustré par la multiplication des dispositions destinées à verrouiller la Constitution de manière à lui assurer la stabilité. Pour preuve, à l'instar des constituants antérieurs, il a reconnu l'initiative de révision constitutionnelle aussi bien au Président de la République qu'aux députés et sénateurs ainsi qu'à une fraction du peuple congolais estimé à 100.000 personnes au moins. 

 

Il a cependant innové par rapport à ceux-là en soumettant l'exercice de cette prérogative à des conditions rigoureuses se rapportant les unes au fond et les autres à la forme. Sur le plan substantiel, à l'instar de quelques constituants occidentaux  notamment celui du 4 octobre 1958 en France, celui de l'Allemagne, du Portugal ou de quantité d'autres Etats de l'Europe de l'est[10] et de l'Afrique subsaharienne[11], il a soustrait à la révision constitutionnelle les dispositions relatives à la forme républicaine de l'Etat et, mieux que ceux-ci, il a pris le soin de préciser les dites dispositions, lesquelles concernent le suffrage universel, la forme représentative de gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l'indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, les droits de l'homme ainsi que les prérogatives des provinces et des entités décentralisées[12] bref les piliers de la  démocratie, de l'Etat de droit.

 

Pour en venir à la forme, la révision constitutionnelle n'est possible qu'en cas de référendum populaire à moins que les chambres réunies en Congrès et se prononçant à la majorité renforcée ou qualifiée de trois cinquièmes de leurs membres ne choisissent de passer outre[13], le tout après que les chambres, se prononçant chacune à la majorité absolue de ses membres, en ait constaté le bien fondé[14].

 

Encore faut-il que cela ne se fasse ni en temps de guerre ni en cas d'état de siège ou d'état d'urgence, pendant l'intérim du Président de la République ou encore lorsque les chambres sont, pour une raison ou une autre, dans l'impossibilité de siéger[15].

 

Dans tous les cas, en sa qualité de gardienne de la constitution, la Cour constitutionnelle veille au respect scrupuleux de ces différentes conditions auxquelles est astreinte la révision constitutionnelle[16].

 

Théoriquement, toutes les précautions nécessaires ont ainsi été prises pour guérir le droit constitutionnel congolais de l'instabilité qui en constitue une des maladies chroniques.

 

En est-il de même de deux  autres des  maladies honteuses du même droit que sont  le non respect des textes et l'égocentrisme des hommes politiques étant entendu que celui-ci explique celui-là ?

 

Tel ne semble pas être le cas à en juger par l'initiative de révision constitutionnelle prise par l'honorable Tshibangu Kalala [17] près d'un an seulement après l'entrée en vigueur de la Constitution de la troisième République[18], initiative soutenue par tous les députés de la majorité parlementaire[19] avant d'être étouffée dans l'œuf par le Président de la République[20].

 

L'objet de la présente étude est de marquer un temps d'arrêt sur l'échec de cette curieuse initiative de révision constitutionnelle, le premier du genre dans l'histoire constitutionnelle congolaise à notre connaissance, véritable test de l'efficacité des dispositions constitutionnelles pertinentes afin d'en tirer des leçons en rapport avec la pérennité mieux la stabilité  de la Constitution.

 

Après avoir dégagé l'économie de cette initiative de révision constitutionnelle (2), elle s'efforce d'en apprécier la validité au regard des principes de la démocratie, de l'Etat de droit, de l'indépendance du pouvoir judiciaire et des droits de l'homme qui ont constitué le leitmotiv du pouvoir constituant du 18 février 2006 (3) et de dire un mot sur  le mouvement de résistance qu'elle a provoqué (4) avant de tirer une conclusion assortie de quelques propositions destinées à améliorer la stabilité  de la  Constitution en question  (5).

 

LA CONSTITUTION EN AFRIQUE vous invite à lire la suite de la réflexion de Me Marcel Wetsh'okonda Koso Senga, menée en collaboration avec Me Valentin Makidi Kombe, ICI
 


[1] Sur le constitutionnalisme africain pendant cette période, lire avec intérêt CONAC G., Les constitutions des Etats d'Afrique et leur affectivité, in CONAC G. (sous la dir. de), Dynamiques et finalités des droits africains, Paris, Economica, 1980, pp 385, 387 ; LAVROFF DIMITRI G., Les tendances du nouveau constitutionnalisme africain, in CONAC G., op.cit, p 416. En ce qui concerne la fraude à la constitution consistant, sous le couvert de la révision constitutionnelle, dans l'établissement d'une nouvelle constitution, procédant par le fait même à une usurpation du pouvoir constituant originaire à l'image de l'expérience fasciste à partir de 1925 en Italie ou  d'Hitler entre 1933 et 1934 en Allemagne, lire MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA E., Institutions politiques et droit constitutionnel, Kinshasa, Editions Universitaires africaines, 2001, p 101.

[2] Sous cette Constitution, en vigueur de 1967 à 1992 ou 1993, selon les écoles, la République démocratique du Congo a connu au moins une nouvelle constitution tous les quatre ans ! lire à ce sujet, WETSH'OKONDA KOSO SENGA M ., Les perspectives des droits de l'homme dans la Constitution congolaise du 18 février 2006, Kinshasa, Editions de la Campagne pour les droits de l'homme au Congo, 2006, pp 20-21 ; MATADI NENGA GAMANDA, La question du pouvoir judiciaire en République démocratique du Congo, contribution à une théorie de reforme, Kinshasa, Editions Droit et idées nouvelles, 2001, p 260. En prenant en compte ces différents projets, MBATA BETUKUMESU MANGU aboutit à la conclusion selon laquelle la République démocratique du Congo bat tous les records en matière d'instabilité constitutionnelle avec plus de trente textes constitutionnels en quarante six ans. Lire MBATA BETUKUMESU MANGU, « Suprématie de la Constitution, indépendance du pouvoir judiciaire et gouvernance démocratique en République démocratique du Congo », in BAKANDEJA wa MPUNGU G., MBATA BETUKUMESU MANGU A. et KIENGE KIENGE INTUDI R. (sous la direction de), Participation et responsabilité des acteurs dans un contexte d'émergence démocratique en République démocratique du Congo, Kinshasa, Presses de l'Université de Kinshasa, pp 393-394. Pour sa part, au regard du nombre de textes constitutionnels dont la République démocratique du Congo s'est doté, le Professeur Mampuya ne s'est pas empêché de qualifier  le constitutionnalisme congolais de « constitutionnalisme débridé », MAMPUYA KANUNK'A TSHIABO, « L'action gouvernementale : expression d'un Etat de droit », Prospective, les Cahiers du Potentiel, vol. 01/12/2002, janvier-février 2003, p 14. Au regard de la fréquence des dispositions constitutionnelles connues sous la deuxième République dans le seul but de renforcer les pouvoirs du Président de la République, un député aurait suggéré que la constitution ne comporte finalement qu'une seule disposition selon laquelle : « Le pouvoir est exercé par le Président de la République ». Lire à ce sujet BWANA N'SEFU LUMANU-MULENDA, « Les révisions constitutionnelles au Zaïre : étude d'une dynamique de construction-destruction d'un ordre politique », Genève-Afrique, Vol XXVII, n°2, 1989, pp 39-58, p 46. Sur la fraude constitutionnelle en République démocratique du Congo, lire notamment KAMUKUNY MUKINAYI A., Contribution à l'étude de la fraude en droit constitutionnel congolais, thèse de doctorat en droit, Université de Kinshasa, faculté de droit, 2007 (texte inédit).. Sur les  constitutions successives qui ont eu à régir la République démocratique du Congo ainsi que la jurisprudence y relative, lire WETSH'OKONDA KOSO M., Les textes constitutionnels congolais annotés (1960 à 2008) (inédit). La liste des différentes constitutions précitées et des lois de révision y afférentes est reprise en annexe.

[3] KILENDA KAKENGI BASILA, L'affaire des 315 magistrats de Kinshasa, une purge néo-mobutiste, Paris, L'Harmattan, 2004 p 21.

[4] CONAC G., op.cit, p 400.

[5] Il faut noter en passant, qu'outre l'instabilité constitutionnelle, l'autoritarisme explique également l'indigence de la recherche scientifique en général et dans le domaine du droit constitutionnel en particulier.

[6] Sur la centralité de la question de l'encadrement rigoureux du pouvoir de révision constitutionnelle dans le nouveau constitutionnalisme africain, lire notamment ATANGANA AMOUGOU J-L., « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnel africain », disponible en ligne à l'adresse

http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes7/ATANGANA (06 juillet 2008).

[7] ESAMBO KANGASHE J-L., La protection du projet de constitution de la République démocratique du Congo, Kinshasa, Congo-Afrique n°397, septembre 2005, pp 10, 14-15 ; WETSH'OKONDA KOSO SENGA M., op.cit, pp 20-22. Il n'est pas sans intérêt de le souligner : au cours des travaux de la Commission de rédaction de l'avant-projet de la Constitution du 18 février 2006 tenus à  Simi Simi/Kisangani auxquels l'auteur a participé en qualité d'expert aux côtés du Professeur Mampuya Kanunk'a Tshiabo Auguste, du Professeur El Hadj Mboj, du Chef des travaux Esambo Jean-Louis et du Sénateur Malumba Mbangula,  une des questions débattues est, on s'en doute, celle de la stabilité constitutionnelle. Au nombre des techniques destinées à satisfaire cette préoccupation, l'auteur a attiré l'attention des sénateurs sur la nécessité de soustraire certaines dispositions constitutionnelles notamment celles relatives aux droits de l'homme de la révision constitutionnelle. Il se dégage de la lecture de l'article 220 de la Constitution susvisée  que non seulement cette observation a été prise en compte par le Parlement congolais mais mieux encore celui-ci est allé encore plus loin en incluant dans les dispositions constitutionnelles insusceptibles de révision plusieurs autres dispositions notamment celles relatives au nombre et à la durée du mandat du Président de la République. La doctrine africaine n'a cessé de préconiser la multiplication des dispositions de ce genre que l'on ne trouvait jusque là que dans une seule constitution en l'occurrence celle du Congo. Lire à ce sujet, outre ATANGANA AMOUGOU J-L., op.cit ; LOADA A., « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », disponible en ligne à l'adresse http://www.afrilex.u-bordeaux4.fr/ (le 06 juillet 2008).

[8] ESAMBO KANGASHE J-L., op.cit, p 14.

[9] PACTET P., Institutions politiques et droit constitutionnel, 9ème édition mise à jour, Paris, Milan Barcelone, Mexico, 1989, pp 71-76 ; CHANTEBOUT B., Droit constitutionnel, 22ème édition, Paris, Armand Colin, Dalloz, 2005, pp 30-36 ; CHAGNOLLAUD D., Droit constitutionnel contemporain, Tome 1, Théorie générale, les régimes étrangers, Paris, Armand Colin, 2005, pp 36-43 ; MPONGO BOKAKO BAUTOLINGA E., op.cit, pp 98-100.

[10] BADINTER R. et GENEVOIX B., « Normes de valeur constitutionnelle et protection des droits fondamentaux », Revue universelle des droits de l'homme, p 259 ; BREILLAT D., Libertés publiques et droits de la personne humaine, Paris, Gualino Editeurs, 2003, pp 114-115 cités par WETSH'OKONDA KOSO SENGA M., op.cit, p 20.

[11] MUKADI BONYI, Projet de constitution de la République démocratique du Congo, plaidoyer pour une relecture, Kinshasa, Edition du Centre de recherche en droit social, 2005, p 81.

[12] Article 220 de la Constitution du 18 février 2006.

[13] Articles 218, alinéas 3 et 4 de la Constitution du 18 février 2006.

[14] Article 218, alinéa 2 de la Constitution.

[15] Article 219 de la Constitution du 18 février 2006.

[16]  Sur les attributions de la Cour constitutionnelle en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, lire avec intérêt les articles 124, 139, 160, 161 et 162 de la Constitution. Lire également WETSH'OKONDA KOSO SENGA M., « La définition des actes législatifs dans l'arrêt de la CSJ n°RCONST.51/TSR du 31 juillet 2007 à l'épreuve de la Constitution du 18 février 2006 », Butembo, Horizons n° 5, juin 2008, pp 12-36.

[17] La mouture originale de la pétition rédigée à cet effet porte la date du 4 juillet 2007. Le texte, inédit, est disponible auprès des auteurs.

[18] Constitution de la République démocratique du Congo, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 47ème année, numéro spécial, 18 février 2006, 78 p.

[19] Le 5 novembre 2007, après avoir recueilli les signatures conformes de tous les députés de la majorité parlementaire, la pétition précitée a été déposée à l'Assemblée nationale. Ainsi la procédure de révision constitutionnelle a-t-elle été déclenchée. Il n'est pas sans intérêt de le souligner : aux termes de 115-2 de la Loi n°06/006 du 9 mars 2006  portant organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 47ème année, numéro spécial, 10 mars 2006, p 25, le nombre de siège à l'Assemblée nationale est fixée à cinq cents. Le 30 septembre 2006, l'Alliance de la majorité parlementaire (AMP) et le Parti lumumbiste unifié (PALU) ont conclu un protocole d'accord en vue de la constitution d'une coalition gouvernementale. Ce Protocole est disponible en ligne à l'adresse suivante http://bl113w.blu113.mail.live.com/mail/InboxLight.aspx?FolderID=00000000-0000-0000-0000-000000000001&InboxSortAscending=False&InboxSortBy=Date&n=1296686191.La coalition susvisée serait composée de 310 députés dont 224 de l'Alliance de la majorité présidentielle. Sur la configuration politique de l'Assemblée national, lire notamment http://www.societecivile.cd/node/3098. D'après les informations en notre possession, faisant la  preuve d'une discipline de vote rigoureuse, tous ces députés auraient signé la pétition précitée. Lire à ce sujet http://lesignalducontinent.over-blog.com/article-13627789.html .

[20] Sur la position du Président de la République sur cette initiative de révision constitutionnelle, lire le Discours du Président de la République sur l'état de la Nation, Kinshasa, Cabinet du Président de la République, 6 décembre 2007, p 26. Il a suffit que le Président de la République tienne ce discours, un  mois à peine après le déclenchement de la procédure de révision constitutionnelle  précitée pour que celle-ci achève sa course comme si, comme aux beaux jours du Parti-Etat, la parole du Chef de l'Etat avait force de loi !

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13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 08:19

LA CONSTITUTION EN AFRIQUE a le plaisir de vous proposer en avant-première, avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'éditeur, le commentaire de Me Marcel Wetsh'okonda Koso Senga portant sur un arrêt topique de la Cour Suprême de Justice de la République Démocratique du Congo, à paraître à la revue de droit et de science politique « HORIZONS », n°5, juin 2008

 

 

LA DEFINITION DES ACTES LEGISLATIFS

DANS L'ARRET DE LA CSJ

N° RCONST. 51/TSR  DU 31 JUILLET 2007

A L'EPREUVE DE LA CONSTITUTION

DU 18 FEVRIER 2006

 

Par Marcel Wetsh'okonda Koso Senga*

 

CONTEXTE ET MOTIVATION

Le 31 juillet 2007, la Cour suprême de justice siégeant toutes sections  réunies faisant office de Cour constitutionnelle  en attendant l'installation de cette dernière[1] a prononcé l'arrêt n° RCONST. 51/TSR dans la cause opposant l'Assemblée provinciale du Kasaï occidental à Trésor Kapuku Ngoy, gouverneur de ladite province au sujet de la constitutionnalité de la motion de défiance adoptée le 7 juin 2007 par la première à l'encontre du second.

Après les élections de 2006 qui ont contribué à mettre un terme à la longue crise de légitimité qui a sévit depuis l'indépendance en 1960, cet arrêt marque manifestement un  pas supplémentaire dans la consolidation de l'Etat de droit. Les élections susvisées s'accompagnent malheureusement des conflits politiques de tous ordres mettant aux prises non seulement les institutions nationales et  les institutions provinciales mais également les institutions nationales ou provinciales entre elles, rappelant ainsi les conflits connus sous le nom de « congolisation » qui ont caractérisé le pays aux lendemains de l'indépendance[2] tout en confirmant la thèse de la crise politique permanente qui caractérise la République démocratique du Congo[3].

Mais à la différence des conflits consécutifs à l'indépendance qui ont dégénéré au point de justifier l'intervention des Nations Unies à  travers l'Opération des Nations unies au Congo, les conflits actuels, eux, sont de plus en plus réglés par la voie des négociations politiques et dans le cas de l'Affaire Trésor Kapuku, par la voie juridictionnelle. Cette affaire confirme par ailleurs la tendance vers la juridictionnalisation progressive de l'activité  politique[4] observée  depuis la transition[5]. Alors que de 1969, date de son installation, à 2001 la Cour suprême de justice n'a rendu que trois arrêts en matière constitutionnelle, ce qui a fait dire à Matadi Nenga Gamanda que le juge constitutionnel était caractérisé par l'oisiveté,[6] de 2003 à avril 2008, la Cour suprême de justice siégeant comme une Cour constitutionnelle a prononcé une quarantaine d'avis et arrêts en matière constitutionnelle[7], soit en près de trois ans près de dix fois plus d'arrêts qu'en trente ans - près de 13 arrêts par an ! La politique est donc désormais saisie par le droit [8] et il est permis d'espérer l'émergence, au fil du temps, d'un droit constitutionnel jurisprudentiel congolais.

Telle est d'ailleurs la volonté du pouvoir constituant du 18 février 2006 lequel a disposé qu' « en cas de conflit de compétence entre le pouvoir central et les provinces, la Cour constitutionnelle est la seule autorité habilitée à les départager[9] » et qu' « elle (la Cour constitutionnelle) connaît des conflits de compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ainsi qu'entre l'Etat et les provinces[10] ».

Mais loin de donner un blanc seing à ladite Cour constitutionnelle pour connaître des conflits entre institutions publiques, la Constitution[11] complétée par l'Ordonnance-loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires (COCJ)[12] ont pris le soin de délimiter strictement les attributions de cette juridiction[13].

Il importe de distinguer les attributions exercées par la Cour en sa qualité d'autorité constitutionnelle, de celles qu'elles exercent comme juge électoral, juge pénal, tribunal des conflits, régulateur des compétences  ou juge constitutionnel à proprement parler.

Comme autorité constitutionnelle, la Cour constitutionnelle exerce les attributions suivantes  dont quelques unes font d'ores et déjà l'objet d'une jurisprudence qui mérite des études ultérieures:

 

  • La  réception du serment du Président de la République [14];
  • La  déclaration  de la vacance du poste de Président de la République[15] ;
  • La déclaration du caractère définitif de l'empêchement du Président de la République[16] ;
  • La prorogation du délai d'organisation de l'élection présidentielle[17] ;
  • La réception des déclarations des biens à l'entrée et à la sortie des fonctions du Président de la République et des membres du Gouvernement[18] ;
  • La communication à l'administration fiscale des déclarations des biens du Président de la République et des membres du Gouvernement[19] ;

En tant que juge électoral, la Cour constitutionnelle exerce les attributions suivantes  reprises à l'article 161, 2 de la Constitution du 18 février 2006 :

  • L'examen du contentieux du référendum;
  • L'examen du contentieux des élections présidentielles;
  • L'examen du contentieux des élections législatives;

En  qualité de juge pénal, les attributions de la Cour constitutionnelle consistent à juger le Président de la République et le Premier ministre pour haute trahison, atteinte à l'honneur ou à la probité, délits d'opinion et pour les infractions commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur fonction d'une part et d'autre part, le Premier ministre seul, pour outrage au Parlement, cette dernière infraction étant impossible dans le chef du Président de la République dans le cadre du régime politique en vigueur consacrant l'irresponsabilité politique et  l'inviolabilité du Président de la République[20].

Quant aux attributions de la Cour constitutionnelle en tant que tribunal des conflits, elles se ramènent à connaître des recours contre les arrêts rendus par la cour de cassation et le Conseil d'Etat en tant qu'ils se prononcent sur l'attribution du litige aux juridiction de l'ordre judiciaire ou administratif[21].

En ce qui concerne les attributions de la Cour constitutionnelle comme régulateur des compétences, la Cour constitutionnelle connaît des conflits de compétence  entre le pouvoir législatif et le pouvoir législatif ainsi qu'entre l'Etat et les provinces[22].

Pour en finir avec les attributions de la Cour constitutionnelle en qualité de juge constitutionnel, de loin les plus importantes, elles se ramènent au contrôle de constitutionnalité des lois. Il s'agit :

  • De l'examen des recours en interprétation de la Constitution[23] ;
  • De l'examen de la conformité à la Constitution, avant leur promulgation,  des lois organiques, des Règlements intérieurs  des Chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la Communication (contrôle a priori et obligatoire de la constitutionnalité des lois)[24] ;
  • De l'examen  de la Constitutionnalité des lois, des actes ayant force de loi, des actes législatifs  et des actes réglementaires (contrôle a posteriori et facultatif de la constitutionnalité des lois par voie d'action)[25] ;
  • De l'examen des exceptions  d'inconstitutionnalité des actes législatifs et des actes réglementaires (contrôle a posteriori et facultatif de la constitutionnalité des lois par voie d'exception)[26] ;
  • De l'examen de la Constitutionnalité des traités (contrôle a priori par voie d'action)[27] ;
  • De la détermination du caractère réglementaire ou non des matières relevant antérieurement  du domaine de la loi[28];
  • De l'examen du caractère dérogatoire à la Constitution des ordonnances prises en cas d'état de siège et d'état d'urgence[29] ;

Il se dégage de cet éventail impressionnant d'attributions  qu'en  matière de contrôle de constitutionnalité à proprement parler, en dehors de l'interprétation de la Constitution, la compétence de la Cour constitutionnelle porte sur des actes juridiques bien déterminés à savoir les lois, les actes ayant force de loi, les actes législatifs, les règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du Congrès, de la Commission électorale nationale indépendante ainsi que du Conseil supérieur de l'audio-visuel, ainsi que les traités et accords internationaux. Ce contrôle est  tantôt préventif ou a priori tantôt a posteriori. Il est préventif et obligatoire pour les lois organiques, les règlements intérieurs des chambres et du congrès ainsi que ceux de la Commission électorale indépendante et du Conseil supérieur l'audio-visuel. Il est facultatif pour les autres actes juridiques précités. Quant au contrôle de constitutionnalité a posteriori, il est facultatif et porte sur les mêmes actes juridiques et pour les traités internationaux.

Il en résulte qu'en dehors des actes juridiques précités, tous les autres actes juridiques  sont à exclure du champ de compétence de la Cour constitutionnelle. Cela parait d'autant plus plausible qu'à la différence des autres dispositions relatives aux lois organiques appelées à régir les juridictions nées de l'éclatement de la Cour suprême de justice,[30] l'article 169 se rapportant à la Cour constitutionnelle ne laisse d'autre choix  au Parlement que celui d'adopter une loi organique déterminant l'organisation et le fonctionnement de cette juridiction.[31]

Les compétences de la Cour constitutionnelle étant d'attribution et à interpréter restrictivement, il est d'une nécessité impérieuse que soient définis avec toute la rigueur voulue les actes juridiques soumis au contrôle de constitutionnalité de manière à prévenir toute équivoque  dans la mesure où comme Wasenda N'songo le note à juste titre : « ces différentes notions...concepts, (sont) sources de plusieurs confusions[32] » d'autant plus qu'ils ne revêtent pas la même signification dans tous les Etats et dans le même Etat à toutes les époques.

À titre d'exemple, à la différence de ses devancières qui consacraient une définition de la loi basée sur l'organe qui produit cette loi (définition dite organique), s'inspirant de la Constitution russe, la Constitution française du 4 octobre 1958 a innové en consacrant plutôt une définition de la loi qui se fonde sur l'objet du texte en question (une définition dite matérielle) que la jurisprudence du Conseil constitutionnel français a réduite à sa plus simple expression[33]. Il en est de même des constitutions congolaises élaborées à partir de juin 1967 - exception faite de celles du 15 août 1974 et de celle de 1978-lesquelles se sont d'ailleurs largement inspirées de la Constitution française précitée[34].

Par ailleurs, dans l'exercice de ses attributions comme Conseil d'Etat ou Cour de cassation, la Cour suprême de justice a été confrontée à beaucoup de difficultés pour qualifier les actes juridiques soumis à son contrôle au point de prendre  des actes réglementaires pour des actes législatifs[35] ou des actes de gouvernement[36] et des actes ne relevant ni des uns ni des autres pour des actes règlementaires[37]. Pour avoir porté son affaire à la fois à la Cour d'appel de Kananga[38] et à la Cour suprême de justice, le Gouverneur Kapuku a certainement éprouvé la même difficulté autant que le Ministre de l'intérieur qui a demandé audit gouverneur de continuer à vaquer à ses occupations estimant manifestement qu'il se trouvait devant un acte réglementaire posé par des autorités sous sa tutelle !

Enfin, la lecture des dispositions des articles 160, 1 et 162, 2 de la Constitution semblent établir une distinction entre les lois, les actes ayant force de loi et les actes législatifs pour ne parler que d'eux. La clarification des mêmes notions s'imposent de toute urgence de manière à attirer l'attention du législateur sur les précautions utiles à prendre au moment de l'adoption de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

Aussi tout en saluant l'arrêt Kapuku qui nous accorde l'opportunité d'apporter notre contribution au débat que nous préconisons en la matière, ne pouvons-nous nous empêcher de nous demander s'il a été pris dans le respect des compétences de la Cour constitutionnelle telles que circonscrites ci-haut et partant s'il confirme notre impression de départ en rapport avec  la consécration de la soumission non seulement des gouvernés mais également des gouvernants à la loi c'est-à-dire de la consolidation de l'Etat de droit. Plus précisément, nous nous proposons dans les lignes qui suivent de scruter la Constitution afin d'en dégager les définitions des expressions précitées avant de conclure si, telle qu'adoptée par l'Assemblée provinciale du Kasaï occidental dans le cadre de son pouvoir de contrôle parlementaire, la motion de défiance mérite la qualification d'acte législatif que la Cour suprême de justice lui a prêtée.


LA CONSTITUTION EN AFRIQUE vous invite à lire la suite du commentaire de Me Marcel Wetsh’okonda Koso Senga ICI


* Avocat au Barreau près la Cour d'appel de Kinshasa/Gombe, Diplômé de troisième cycle en droits fondamentaux de l'Université de Nantes, candidat au Diplôme d'études spéciales en droit public à la faculté de droit de l'Université de Kinshasa et ancien Directeur national de la Campagne pour les droits de l'homme au Congo (CDHC-ASBL), marcwetshk@yahoo.fr.

 

[1] Article 223 de la Constitution de la République démocratique du Congo, Kinshasa, Journal officiel de la République démocratique du Congo, 47ème année, numéro spécial, 18 février 2006, p 4. Ci-après appelée la Constitution.

[2] Sur la Congolisation, lire notamment Bwana N'sefu Lumanu Mulenda, Les révisions constitutionnelles au Zaïre, étude d'une dynamique de construction-destruction d'un ordre politique, Genève, Genève-Afrique, Vol. XXVII, n°2, pp 41-43 ; Daba E.L, De la République à l'Etat du citoyen, Editions Uhuru, universal connexion,1992, pp 54-81 ; Ndaywel E Nziem, Histoire du Zaïre, de l'héritage ancien à l'âge contemporain, Paris, Duculot , Afrique Editions, Agence de la francophonie, 1997, 918 p ; Mulambu Mvuluya, « Démocratie et prévention des crises en R.D.C », in Gamela Nginu O. ( sous la dir. de), La lutte contre la pauvreté, la prévention des crises, le développement socio-politique et la démocratie, Kinshasa, I.D.L.P, S.D, pp 10-33.

[3] Sur les différentes crises politiques depuis 1960, lire avec intérêt, Gamela Nginu O., op.cit.

[4] Cette expression est empruntée à Robert Badinter, lire à ce sujet, Jegouzo Y. (sous la dir. de), Droit constitutionnel et instituions politiques, Annales de droit, DEUG de droit, 1ère année, session 1996, Paris, Dalloz, 1995, pp 57-63.

[5] A titre d'exemple, la querelle autour de l'étendue du pouvoir du Président de la République en matière de nomination des animateurs de la territoriale a été tranchée par la Cour suprême de justice à travers son avis consultatif RL n°09 du 20 janvier 2004. Lire à ce sujet Kaluba Dibwa D., La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en droit public congolais, lecture critique de certaines décisions de la Cour suprême de justice d'avant la Constitution du 18 février 2006, Kinshasa, Ed. Eucalyptus, pp 70-81. Il en est de même de celle portant sur le sort des animateurs de la transition éjectés de leur Composante ou Entité d'origine, objet de l'arrêt de la Cour suprême de justice n°R.Const.28/TSR du 24 février 2006 communément appelé arrêt Olivier Kamitatu. Lire à ce sujet, la note de Okitonembo Wetshongunda L., in Revue de droit africain, doctrine et jurisprudence, n°38, Bruxelles, 2006, pp 103-113.  Il faut cependant déplorer la soustraction à la même cour de certaines affaires qui auraient pu trouver auprès d'elle un règlement conforme à la loi en général et à la Constitution en particulier. Il en est ainsi de l'affaire relative aux parlementaires binationaux mais également de celle relative à la consommation à la source de la part du budget national alloué aux provinces. Si dans le premier cas, c'est la solution politique du « moratoire » (qui signifiait qu'aucune décision n'était prise pour un temps indéterminé) qui a été privilégiée par l'Assemblée nationale, dans la seconde, c'est le Président de la République qui a usé de son influence en demandant aux autorités provinciales d'attendre l'adoption de la loi sur la décentralisation. Lire à ce sujet Mbata Betukumeso Mangu A., « Suprématie de la Constitution, indépendance du pouvoir judiciaire et gouvernance démocratique en République démocratique du Congo », in Bakandeja wa Mpungu G., Mbata Betukumeso Mangu A., et Kienge Kienge Intudi R., Participation et responsabilité des acteurs dans un contexte d'émergence démocratique en République démocratique du Congo, Actes des journées scientifiques de la faculté de droit de l'Université de Kinshasa, 18-19 juin 2007, Kinshasa, Presses de l'Université de Kinshasa, 2007, p 404. Pire encore, l'Assemblée nationale a formulé des critiques virulentes à l'endroit de la Cour suprême de justice en rapport avec le règlement du contentieux des élections législatives lequel a aboutit à l'invalidation des mandats de dix-huit députés. Sur ce comportement, lire Boshab E., « Le principe de la séparation des pouvoirs à l'épreuve de l'interprétation des arrêts de la Cour suprême de justice par l'Assemblée nationale en matière de contentieux électoral », in Bakandeja, Mbata et Kienge Kienge., op.cit, pp 19-27.

[6] Matadi Nenga Gamanda, La question du pouvoir judiciaire en République démocratique du Congo, contribution à une étude de la réforme, Kinshasa, Droit et idées nouvelles, 2001, pp 377-378 ; lire également Mabanga Monga Mabanga, Le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines, 1999.

[7] Voir la liste des arrêts de la Cour suprême de justice en matière de contrôle de constitutionnalité stricto sensu en annexe. L'on notera également que les élections présidentielles, législatives, législatives provinciales et sénatoriales ont donné lieu à une importante jurisprudence en matière électorale, jurisprudence qui fait déjà l'objet de premiers commentaires. Lire notamment : Katuala Kaba Kashala, La jurisprudence électorale congolaise commentée, The Carter Center, 2007, Kinshasa ; J-M Eley Lofele, Le contentieux électoral en République démocratique du Congo, législation, doctrine, plaidoiries, jurisprudence, inédit.

[8] Cette expression est quant à elle empruntée à Louis Favoreu, Jegouzo Y., op.cit, p 60.

[9] Lire l'Exposé des motifs de la Constitution de la République démocratique du Congo, op.cit, p 4.

[10] Article 161 de la Constitution.

[11] Notamment les articles 160 à 162 de la Constitution.

[12] Article 160 de l'Ordonnance-loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires, Journal officiel de la République du Zaïre, 23ème année, n°7, 1er avril 1982, p 53.

[13] Kamidi Ofit R., Le système judiciaire congolais, organisation et compétence, Kinshasa, Editions FITO, 1999, pp 160-161. Le COCJ est d'application en attendant l'adoption de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle dont le projet, finalisé par la Commission permanente de reforme du droit congolais n'attend plus que son adoption par le Gouvernement avant sa soumission au Parlement :  Commission permanente de reforme du droit congolais, Projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, document n°07/SC/001/2007, mai 2007, 20 pages (l'auteur en détient une copie.)

[14] Article 74.

[15] Article 76,1.

[16] Article 76, 3.

[17] Article 76, 4.

[18] Article 99, 1.

[19] Article 99, 3.

[20] Articles 163  à 167.

[21] Article 161, 4.

[22] Article 161, 3.

[23] Article 161, 1.

[24] Articles 124 et  160, 2.

[25] Articles 160, 1 et 162, 2.

[26] Article 162, 1.

[27] Article 216 de la Constitution.

[28] Article 128 de la Constitution.

[29] Article 145 de la Constitution.

[30] Articles 153 et 154 de la Constitution relatifs respectivement aux lois organiques sur la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat.

[31] Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par le projet de loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle précité, lequel n'ajoute aux attributions reprises ci-avant que celle relative à la rétraction en tout ou en partie, des décisions rendues par les cours et tribunaux et coulées en force de chose jugée tout en soulignant qu'il ne s'agit ici que d'une conséquence logique des arrêts d'inconstitutionnalité.

[32] Wasenda N'songo, Contentieux administratif congolais, essai d'analyse de doctrine et de jurisprudence, Kinshasa, Collection Informations juridiques, 1998, p 99.

[33] Pactet P., Institutions politiques et droit constitutionnel, 9ème édition, Paris, Masson, 1989, pp 508-519; Duverger M., La Cinquième République, 3ème édition, Paris, P.U.F, 1963, p 129-130 ; Burdeau G., Droit constitutionnel et institutions politiques, 14ème édition, Paris, L.G.D.J, 1969, pp 543-547 ; Hamon F. et Troper M., op.cit,  pp 707-749 ; Ardent P., Institutions politiques et droit constitutionnel, 17ème édition, L.G.D.J, 2005, pp 562-584 ; Chantebout B., Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 2005,pp 510-523.

[34] Mulumba C., « Le pouvoir législatif dans la Constitution du 24 juin 1967 », Cahiers économiques et sociaux, Vol. VII, Cahier n°1, mars 1969, pp ; Lamy E., Le droit privé zaïrois, vol. 1, Introduction à l'étude du droit écrit et du droit coutumier zaïrois, Kinshasa, PUZ, 1975, p 155 ; Bomandeke Bonyeka, Le Parlement congolais sous la Loi fondamentale, Kinshasa, P.U.Z,  1992, p 206.

[35] Kambale Kalume P., « L'arrêt de la Cour suprême de justice du 22 mars 1995 sur la liberté de manifestation au Zaïre », Revue interdisciplinaire de droits de l'homme, Vol. I, numéro 2, mai-août 1995, pp 40-59 ; Dibunda Kabuinji, « De la constitutionnalité de l'Ordonnance n°25/505 du 5 octobre 1959 relative aux réunions et manifestations publiques, Kinshasa », Justice, science et paix n°24, 1995, pp 2-6.

[36] Okitonembo Wetshongunda, « La théorie des actes de gouvernement dans l'arrêt de la Cour suprême de justice RA 459 et consorts du 26 septembre 2001 sur la révocation de 315 magistrats », Les Analyses juridiques n°5, 2005, Lubumbashi, pp 13-27 ; Kaluba Dibwa D., La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en droit constitutionnel congolais, lecture critique de certaines décisions de la Cour suprême de justice d'avant la Constitution du 18 février 2006, Kinshasa, Editions Eucalyptus, 2007, pp 90-92.

[37] RCE/DN/KN/372 du 28 février 2008, Kikaya Bin Karubi c/Assumani, avec note de Tshizanga Mutshipangu, Les Analyses juridiques n°11, Lubumbashi, 2007, pp 51-53.

[38] Kananga, 21 juin 2007, RC.DG. 001, Trésor Kapuku Ngoy c/ Assemblée provinciale du Kasaï occidental (arrêt inédit disponible auprès de l'auteur).

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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 10:56

La reconfiguration du « pouvoir juridictionnel » en République Démocratique du Congo est au cœur des préoccupations des acteurs de la Constitution du 18 février 2006. Sur ce terrain, se joue le devenir de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste proclamé par la Constitution, ou encore l'effectivité de la loi fondamentale, matrice de la paix civile. Récemment, le pouvoir politique a adressé des signaux plutôt inquiétants avec la tentative - finalement avortée - de révision attribuant la présidence du Conseil supérieur de la magistrature et avec les ordonnances d'organisation judiciaire prises en l'absence de Conseil supérieur de la magistrature.


C'est désormais à l'Assemblée Nationale qu'incombe la responsabilité de donner sa forme définitive à l'appareil juridictionnel : elle a entamé, mardi 15 avril 2008, l'examen de quatre projets de lois portant respectivement sur la Cour Constitutionnelle, sur la Cour de Cassation, sur les juridictions de l'ordre judiciaire et sur celles de l'ordre administratif. Il s'agit de donner chair à l'éclatement de la Cour Suprême de Justice en trois juridictions suprêmes - la Cour Constitutionnelle, la Cour de Cassation et le Conseil d'Etat -, que le Constituant de 2006 a décidé. Cette spécialisation « à la française », que le Sénégal vient d'abandonner avec la renaissance de la Cour Suprême, autonomisera les contentieux de droit public et, singulièrement, dotera la République Démocratique du Congo d'une véritable Cour Constitutionnelle. L'enjeu est de taille : il revient à l'Assemblée Nationale de lever les obstacles normatifs à l'installation d'une juridiction constitutionnelle autonome, en lieu et place de la Cour Suprême de Justice qui, actuellement, en vertu de l'article 223 de la Constitution de 2006, fait office de Cour Constitutionnelle.


La loi fondamentale, en ses articles 157 à 169,
a dessiné les traits essentiels d'une puissante Cour Constitutionnelle, qui fait partie du "pouvoir judiciaire" (art. 149). Le législateur organique est appelé à compléter et à préciser les dispositions de la Constitution, par l'édiction de règles infra-constitutionnelles. Pour mieux saisir les enjeux et les orientations des débats parlementaires à venir, je vous invite à prendre connaissance ICI sur La Constitution en Afrique du


PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE


que m'a obligeamment transmis Me Marcel Wetsh'okonda Koso.


Ce texte ne préjuge évidemment pas des choix définitifs qui seront opérés par le Parlement. Mais, sa lecture enseigne que le législateur organique congolais ne s'apprête à « cloner » ni l'un des textes en vigueur dans un autre pays africain et accessible sur le site de l'ACCPUF, ni la loi organique sur le Conseil Constitutionnel français, ni la loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle belge (ex-Cour d'arbitrage). Cette propension à édicter un droit constitutionnel "made in" Afrique se manifeste, notamment, par la reprise - heureuse ou incongrue ? - d'une partie des règles processuelles contenues dans l'ordonnance-loi 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour Suprême de Justice, par la création, sur le modèle belge, d'un corps de « conseillers référendaires », et par l'institution - plutôt déroutante - d'un parquet près la Cour Constitutionnelle. De quoi tordre le coup à toute présomption de mimétisme aveugle !


C'est en ce sens qu'il faut absolument lire une analyse critique de grande qualité du Professeur Auguste MAMPUYA KANUNK'a- TSHIABO, parue dans le quotidien "Le Phare" du 9 avril 2008 


A PROPOS DU PROJET DE LOI ORGANIQUE
SUR LA COUR CONSTITUTIONNELLE

 (Prof. Auguste MAMPUYA KANUNK'a- TSHIABO)


Le projet gouvernemental comprend 104 articles répartis en 5 titres : de l'organisation de la Cour, de la compétence, des effets des arrêts d'inconstitutionnalité et de non-conformité, de la procédure et des dispositions transitoires et finales. Mon propos s'emploiera essentiellement à une analyse succincte de quelques dispositions importantes de ce projet qui me semblent poser problème, tandis que sur bien d'autres points, le projet ne fait que reproduire banalement et maladroitement ou paraphraser les articles (notamment les articles 158 à 168) de la Constitution. Sans m'arrêter aux nombreux problèmes de légistique, je retiendrai d'abord, à l'article 2, le contenu du serment que devront prêter les membres de la Cour, ensuite, à l'article 4 alinéa 2, le principe du renouvellement tertiaire de la composition de la Cour et, enfin, les règles de procédure établie par le titre IV.


1) Concernant le serment


Il ne s'agit pas d'en contester le bien fondé, dans le silence de la Constitution, car effectivement celle-ci ne prévoit pas de serment ; on pourrait y suppléer en parlant d'une coutume congolaise. Mais, c'est le texte du serment qui me semble refléter une conception restrictive et surannée, rétrograde, du devoir de réserve des membres d'une si haute juridiction agissant en une matière qui a un contenu visiblement politique. Ce texte est ainsi libellé : « Je jure de bien et fidèlement remplir les fonctions de membre de la Cour constitutionnelle, de les exercer en toute indépendance et impartialité, dans le respect de la Constitution et des lois de la République démocratique du Congo, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique ni de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la Cour »

Je considère, en effet, que si la délibération de la Cour doit être couverte par le traditionnel secret, la conception moderne de cette obligation admet la publicité du vote et permet aux membres de rédiger et de publier, annexée à l'édition officielle de l'arrêt, l'analyse juridique qui justifie leur vote en faveur de ou contre la décision de la Cour. La pratique de la publication des opinions individuelles et des opinions dissidentes des juges, s'ils le désirent, a été introduite dans nombre de hautes juridictions, la Cour suprême des Etats-Unis (qui est en cette matière vraiment l'homologue de notre Cour constitutionnelle), la Cour Internationale de Justice de la Haye, etc., je ne cite que ces deux pour les avoir étudiées et visitées l'une et l'autre. La raison d'être de cette pratique est d'assurer la transparence du fonctionnement et des décisions de la juridiction dans des matières où, en dépit de la nature politique des questions et même à cause de cela, les juges doivent démontrer qu'ils n'ont été guidés que par le droit. Cette raison et cette exigence de transparence sont d'autant plus valables chez-nous, où l'expérience des décisions prises dans le domaine constitutionnel et électoral par la Cour suprême en a démontré la nécessité. Il ne faut pas oublier à quel point les membres de la CSJ, ces très hauts magistrats, ont été sans ménagement et avec mépris traînés dans la boue et traités de tous les noms d'oiseaux, à l'occasion de la majorité des décisions prises par eux dans ces deux matières ?

Il ne faut pas, par un anonymat de mauvais aloi, que, dans ces réactions politiques ou populaires souvent déraisonnables infondées, tous les membres de la Cour soient mis dans le même sac. De même, surtout, à ce niveau de la hiérarchie des juridictions, chacun doit assumer publiquement ses responsabilités, la responsabilité de son vote et de ses opinions en les justifiant juridiquement, lesquelles devraient être connues de l'opinion ; ainsi on éviterait que tous les juges ne soient pas soupçonnés de corruption ou d'ignorance comme on l'a entendu dans des accusations bien trop légèrement lancées à la cantonade contre les membres de la haute cour. Par ailleurs, tous les bons juristes savent que les opinions individuelles ou dissidentes des juges de la Cour suprême américaine et de ceux de la Cour Internationale de Justice sont de véritables analyses juridiques faisant partie intégrante de la doctrine juridique, utiles, à ce titre, à la connaissance et à la compréhension non seulement des arrêts mais aussi du droit lui-même en général, devenant ainsi des instruments de grande importance pour les chercheurs, les étudiants et les penseurs du droit. Il est donc utile et bénéfique que le vote de la Cour soit connu (qui a voté pour, qui a voté contre) et que soit publié pour le juge qui le désire, le raisonnement qu'il a suivi pour justifier son vote. Les restrictions contenues dans ce texte du serment sont d'autant plus inacceptables que l'article 24 énonçant le régime disciplinaire ajoute une restriction supplémentaire en son sixième alinéa, qui n'autorise « les publications et communications à caractère scientifique qu'à condition que les conclusions de telles publications ne soient pas contraires à l'esprit et au sens des décisions rendues par la Cour constitutionnelle. » Une telle disposition est inouïe et manque de tout bon sens ; en parlant de publications « scientifiques » qui doivent nécessairement appuyer les décisions de la Cour, elle est contradictoire et antiscientifique : on n'impose pas la conclusion d'une recherche scientifique. J'ai du mal à croire que les rédacteurs du projet ignorent à ce point la nature de la recherche scientifique ou qu'ils aient sacrifié délibérément à des buts politiques. Certains objecteront que la publicité du vote ferait dévoiler les noms des votants et le sens de leur vote, ainsi que, finalement, elle montrerait du doigt leur origine ou couleur « politique ». Cela n'a aucun sens, le système de désignation des membres de la Cour est connu de tous et chacun sait d'où vient tel juge et, après tout, l'origine « politique » n'est pas une chose honteuse à cacher, d'autant que devenus des juges, ces personnes sont indépendantes même de leur « origine ».

Il est bon, et la réforme y gagnerait en qualité, la Cour et ses membres y gagneraient en crédibilité, de mettre en place les conditions de la nécessaire transparence recherchée sous d'autres cieux et exigée par notre propre expérience ; cela aiderait le public à se forger une opinion plus renseignée et plus juste de notre justice. Par cette proposition, je milite pour la dignité et l'indépendance des magistrats.


2) Quant au renouvellement tertiaire


L'article 4 du projet prévoit dans les termes suivants ce renouvellement par tiers tous les trois ans : « Sauf pour le premier mandat de 9 ans, la Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans, vingt jours au moins avant l'expiration des fonctions de ses membres » ; tandis que la disposition de la constitution qui commande cette matière (article 158 al. 4 de la constitution) dit simplement que « La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. ». Le problème c'est l'élément de phrase ajouté par le projet de loi « Sauf pour le premier mandat de 9 ans ». En effet, lorsque l'alinéa 2 de l'article 4 du projet qui organise ce renouvellement partiel par tiers précise que « A chaque renouvellement, il est procédé au tirage au sort d'un membre par groupe ... », de manière à renouveler trois membres chaque fois (parce qu'il y a trois groupes : ceux désignés par le Président de la République, ceux désignés par les deux chambres et ceux désignés par le Conseil Supérieur de la Magistrature). Or, d'une part, la constitution n'exclut pas le renouvellement lors du premier mandat de 9 ans, mais je comprends bien que des gens qui s'attendaient à faire partie de la Cour ou qui cherchaient à en faire partie dès sa formation, aient pensé se garantir un mandat complet de 9 ans (c'est toujours bien pour soi). D'autre part, si on n'attend le tirage au sort qu'à l'issue des 9 ans, des deux choses l'une : ou bien il n'y aura jamais de renouvellement par tiers parce qu'il serait alors prévu que les membres font le mandat complet avant d'être renouvelés, ou bien trois seront renouvelés à l'issue du mandat de 9 ans et auront fait 12 ans, trois autres auront fait 15 ans avant d'être renouvelés, tandis que les trois derniers auront doublé leur mandat en ayant fait 18 ans. On voit que cette deuxième hypothèse est aberrante, on revient donc à la première qui n'admet aucun renouvellement partiel avant les 9 ans ou alors on renouvelle nécessairement tous les 9 membres ; ceci est contraire à la constitution qui arrête que le mandat est de 9 ans « non renouvelable ». Il faut donc que le renouvellement par tiers ait lieu dès le premier mandat, conformément à l'esprit et, même, à la lettre de l'article 158 de la constitution ; de telle sorte que seuls les trois derniers du premier mandat auront totalisé les 9 années, ainsi que ceux qui entreront à la Cour à la faveur de ce système de renouvellement, tandis que trois auront fait 6 ans et trois autres seulement 3 ans. C'est la logique et la pratique de ce système partout dans le monde : 6 membres parmi les 9 du mandat initial seront « sacrifiés » en étant renouvelés, 3 au bout de 3 ans, 3 autres après 6 ans, il n'a que les 3 derniers qui feront le mandat complet de 9 ans. Si on ne change pas cette disposition anticonstitutionnelle, elle sera par ailleurs inapplicable.


3) Concernant le titre IV, « de la procédure »


Je vais l'évaluer globalement pour éviter d'être trop long et de perdre le lecteur dans des questions trop techniques. C'est la partie sans doute la plus importante dans la mesure où ce titre règle des questions non abordées par la constitution, mais indispensables pour indiquer les conditions d'exercice de sa compétence par la Cour. Il s'agit en effet de règles de saisine de la Cour et de la manière dont se déroule son travail pour chacun des cas où elle est saisie, ses audiences éventuelles, le déroulement de sa procédure jusqu'à la décision. C'est ici qu'il y aurait le plus de choses à dire et, à mon avis, à changer. Le premier principe qui devait conduire la rédaction de ce titre c'est que nous ne sommes pas en matière « judiciaire », mise à part la compétence pénale de la Cour (à propos du président de a République et du Premier ministre), il ne s'agit pas de litiges privés dont les procès sont réglés par le droit privé judiciaire. Une malheureuse confusion est commise par les rédacteurs entre la procédure en matière de droit public (contrôle de constitutionnalité des lois organiques, des lois ordinaires avant leur promulgation à la demande du PR ou du président de chaque chambre parlementaire ou du 10è des membres de chaque chambre parlementaire ; les cas prévus par l'article 162 alinéas 2 et 3, de recours en inconstitutionnalité par voie d'exception et le recours de toute personne en « inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire » ; contentieux électoral), et la procédure en matière de droit privé pour trancher entre intérêts et droits subjectifs privés opposés. Dans le premier cas, en effet, il ne s'agit pas d'un procès entre deux parties opposées par un différend sur la base d'obligations et de droits synallagmatiques, et se présentant devant la Cour l'une comme « demandeur » et l'autre comme « défendeur ».

La règle d'or, ici, c'est de mettre de côté la loi sur la procédure devant la Cour suprême de Justice qu'on a paresseusement plaquée, et imaginer des règles conformes à la nature des affaires tranchées ou traitées par la Cour constitutionnelle. L'analyse qui suit ainsi que ses conclusions ne concernent évidemment pas la procédure pénale lorsque la Cour exerce sa compétence pénale à l'égard du président de la République ou du Premier ministre : là, on a vraiment à faire à un procès avec toutes les exigences et règles de procédures et de fonctionnement d'une juridiction pénale (comme le prévoit du reste l'article 54 alinéa 2 du projet de loi).

En matière de contrôle de constitutionnalité des lois,

Nous sommes donc dans le droit public, l'action entreprise devant la Cour a pour objet de faire constater et dire par la Cour que la loi concernée, lorsqu'elle a été trouvée inconstitutionnelle, ne peut être promulguée en l'état, ou que son respect ne peut être exigé des individus, ou qu'elle ne peut être appliquée à un litige par les cours et tribunaux ; cela n'est pas un intérêt privé et, devant la Cour, n'apparaissent pas des parties au sens du procès judiciaire privé. Dans ces cas, la Cour examine la loi ou le texte contesté en le confrontant avec la constitution pour en vérifier la conformité ou la non-conformité à cette dernière ; la Cour n'a pas besoin de parties opposées devant elle, parce que ces parties n'existent tout simplement pas au sens du droit privé, autre chose est que la Cour ait éventuellement besoin, et encore, de l'intéressé pour en obtenir certains éléments. Il s'agira d'un travail de « recherche », d'interprétation, d'exégèse et d'analyse, etc.

En matière électorale,

Il faut faire extrêmement attention pour éviter les débordements que j'avais déjà annoncés plus d'un an avant les élections et qui ont émaillé la mascarade qui passait pour être notre contentieux électoral. Ici, non plus, il n'y a pas deux parties opposées qui viennent défendre chacune sa cause, en tout cas il n'y a pas un candidat qui doit quelque chose à l'autre, ni un qui a fait quelque chose à l'autre. En effet, un parti ou un candidat conteste le déroulement des opérations électorales ou le résultat ou la campagne d'un concurrent : il s'agit de la Cour qui examine le déroulement des opérations, le comportement des bureaux de vote ou de dépouillement, le décompte des bulletins, la sommation des résultats, etc., et vérifie si tout s'est déroulé comme cela devrait ou aurait dû être fait. La Cour aura besoin des différents matériels utilisés dans le bureau ou dans la circonscription objet de la contestation : listes électorales, nombre des bulletins mis à disposition, présentation « physique » des bulletins de vote mis dans les urnes et des bulletins de vote restants, listes d'émargement des électeurs, PV et rapports, tout ce qui avait servi au comptage, au calcul et à l'attribution des sièges, etc. ; elle aura peut-être besoin de se faire expliquer certaines choses par la Commission électorale ou par les responsables des bureaux sur leur comportement et sur la manière dont ils ont dirigé les opérations, etc., sans que ces personnes ou institutions ainsi sollicitées ne doivent être considérées comme une partie à un quelconque procès. Tout ce qui s'est déroulé lors des différents contentieux électoraux qui ont émaillé les « élections » passées, auxquelles des étrangers se sont présentés et ont donné près du tiers de nos chambres parlementaires votant des lois qui, incontestablement, sont toutes inconstitutionnelles, je dis que tout ce qui s'est alors passé ne fut pas digne d'être appelé organisation du contentieux électoral : on y avait considéré que deux parties (les candidats protagonistes) étaient opposées par un différend sur des droits subjectifs privés, ou que le candidat est opposé à la CEI considérée elle aussi comme une partie au « procès » et représentée par un avocat, etc. ; c'est ridicule.

J'avais déjà dit que ces « contentieux » n'ont rien à voir avec les procès privés et qu'on a souffert de la domination des juristes du droit judiciaire privé, pas vraiment au fait des spécificités du droit public et confondant tout ; mais comme souvent ceux qui décident ne m'ont pas écouté. Si, lors du dépôt des requêtes comme au prononcé de la décision, on a eu droit à un déchaînement du folklore avec des cortèges de candidats prenant d'assaut la Cour suprême, précédés chacun de leur griot et de leur « nganga » ou « prophète » maintenant que tous sont devenus des loueurs du Seigneur, suivis de leurs clients avec tambours, flûtes, groupes d'animation et, parfois, de leurs guerriers tribaux, c'était dû à ces confusions.

Quelles leçons ?

A l'évidence, la Cour doit pouvoir travailler en toute sérénité : elle n'a pas besoin de la présence des individus pour se prononcer sur la conformité d'une loi ou sur la régularité d'une élection et, sur le plan de la procédure, elle ne fonctionne pas comme les juridictions de l'ordre judiciaire.

Certes, elle a les obligations d'impartialité et d'objectivité, elle doit motiver ses décisions, elle doit examiner tous les arguments pour et contre la requête et c'est en cela que constitue le »contradictoire » que respecte le déroulement de l'instruction du dossier, et non pas en la présence des parties et avocats plaidant devant elle : la procédure est essentiellement écrite et les séances de travail de la Cour ne sont pas des audiences parce qu'il n'y a aura pas de joutes oratoires d'avocats ou conseils ; le projet précise bien (article 54) que « la procédure est écrite et contradictoire », « contradictoire » ne signifie pas nécessairement présence des protagonistes et audiences publiques, tandis qu'ailleurs elle parle d'audiences publiques sans huis clos etc.

Mais, la prégnance de nos juridictions par le droit judiciaire est telle que là, aussi, le projet prévoit le siège à 5 ou à 3, l'examen du dossier par une « chambre restreinte » la Cour n'intervenant que pour les « audiences » après fixation de la cause, le rapport du ministère public, un magistrat rapporteur, etc. Il n'y a vraiment aucune raison pour que la Cour ne siège pas toujours en formation complète avec ses 9 membres, sauf rares exceptions (absence ou maladie de juges, affaires relativement secondaires ou faciles, urgence, etc.) : en effet, à la différence des affaires privées, la Cour constitutionnelle n'aura pas des milliers de dossiers ni des milliers d'affaires, tandis que par ailleurs il faut éviter les faiblesses d'une juridiction siégeant partiellement que les Congolais suspectent, souvent légèrement, de corruption ou d'incompétence. Certes le projet prévoit qu'en cas de siège partiel, la décision de cette chambre devra être entérinée par toute la Cour, ce n'est pas la même chose que si toute la Cour suivait l'affaire du début à la fin, souvent dans ce genre de cas, on « fait confiance » et on avalise sans beaucoup regarder.
Par ailleurs et dans le même souci, il faut abandonner le système du magistrat rapporteur ou de « chambre restreinte » et, après une première délibération générale, confier la rédaction de l'avant-projet ou du projet de décision à un comité de rédaction de trois membres. Ici, aussi, mon souci c'est la crédibilité de la Cour et des magistrats. Enfin, il est utile que la loi prévoit un règlement à adopter par la Cour elle-même, pour organiser le détail de son fonctionnement et de sa procédure.

Il s'agit maintenant de ne pas se précipiter, il n'y a pas le feu à la maison et on n'en est pas à deux semaines près. Le gouvernement n'a pas eu le temps de regarder et de retourner toutes ces questions, l'Assemblée nationale le peut et elle peut, sagement, organiser une consultation par l'intermédiaire de sa commission PAJ qui s'en occupe en ce moment, pour s'entourer de toutes les précautions. Si on a, d'un avis assez répandu, mal négocié le processus constitutionnel et électoral, il ne faut pas, en plus, rater celle de la mise en place des institutions.

**


Gageons que la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo - encore virtuelle - sera rapidement dotée de sa loi organique et ne connaîtra pas le sort peu enviable du Conseil Constitutionnel du Cameroun prévu par le Constituant de 1996 mais toujours pas installé à ce jour !


J'attends vos commentaires sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, le site de droit constitutionnel « pas comme les autres ». 


Au plaisir d'échanger


Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public

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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 11:05

            En Afrique, le Parlement remplit-il mieux qu’hier sa fonction constitutionnelle de contrôleur du Gouvernement ? Nombre d’africanistes succombent à la tentation de répondre péremptoirement par la négative … sans prendre la peine de tirer les leçons de l’actualité constitutionnelle ou d’éprouver des faits incontestables de nature à porter un autre regard sur la vie parlementaire.

            Il convient de verser au débat l’interpellation du Premier Ministre de la République Démocratique du Congo, qui a été récemment reportée pour vice de procédure.

Le 11 mars 2008, Delly SESANGA DJA KASENG, député national MLC (opposition), a pris l’initiative d’interpeller le Premier ministre, un droit que lui reconnaît l'article 138 de la Constitution du 18 février 2006 et qui s’exerce selon la procédure prescrite par les articles 171 à 177 du Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale :

Article 171

L’interpellation est une demande d’explication adressée au Gouvernement ou à ses membres, aux gestionnaires des entreprises publiques, des établissements et des services publics les invitant à se justifier, selon le cas, sur l’exercice de leur autorité ou sur la gestion d’une entreprise publique, d’un établissement ou d’un service public.

Elle peut être initiée à tout moment de la session ordinaire.

En session extraordinaire, l’interpellation ne peut avoir lieu que si elle est préalablement inscrite à l’ordre du jour fixé dans l’acte de convocation.

Article 172

Le député qui se propose d’interpeller le Gouvernement, ses membres, les gestionnaires des entreprises publiques, des établissements ou des services publics, fait connaître au Bureau de l’Assemblée nationale l’objet de son interpellation par une déclaration écrite.

Article 173

Le Bureau de l’Assemblée nationale inscrit l’interpellation à l’ordre du jour de la séance la plus proche, au cours de laquelle son auteur est invité à en exposer le contenu et les motifs à l’Assemblée plénière.

Si l’objet de l’interpellation est approuvé, elle est inscrite en priorité au calendrier des travaux.

Article 174

L’interpellé se présente devant l’Assemblée nationale dans le délai de huit jours francs à dater de la notification de l’interpellation.

Si l’objet de l’interpellation concerne la politique générale du Gouvernement, le Premier Ministre est chargé d’y répondre.

Article 175

A la plénière de l’Assemblée nationale programmée à cet effet, l’interpellé donne ses explications après l’exposé de l’interpellateur.

Le Président ouvre le débat en invitant les députés inscrits à faire leurs interventions.

Ces interventions sont suivies par la réponse en réplique de l’interpellé. Le débat est clos par la dernière réplique de l’interpellateur.

Article 176

Les conclusions du débat comportant, le cas échéant, les recommandations ou les motions de l’Assemblée nationale, font l’objet d’un rapport approuvé par la plénière et transmis, selon le cas, au Président de la République, au Premier ministre, au Ministre de tutelle par le Bureau de l’Assemblée nationale dans les soixante douze heures suivant la clôture du débat.

Au cas où les recommandations contiennent des propositions de sanctions et que dans les trente jours qui suivent la transmission du rapport au Président de la

République, au Premier ministre et au Ministre de tutelle, ces sanctions ne sont pas prises, le Président de l’Assemblée nationale saisit l’autorité judiciaire compétente conformément à la loi.

Article 177

En cas de refus de l’interpellé ou s’il se présente après le délai ci-dessus, le Bureau adresse un rapport circonstancié approuvé par la plénière avec ses recommandations au Président de la République si l’interpellé est le Premier ministre ; au Premier ministre si l’interpellé est membre du Gouvernement ; au Ministre de tutelle, s’il est gestionnaire d’une entreprise publique, d’un établissement ou d’un service public.

 


 

 

            La motion inédite d’interpellation du chef du Gouvernement est intervenue dans un climat politique tendu, marqué par les discours de rentrée parlementaire du 15 mars 2008, prononcés par des personnalités proches du pouvoir : Vital KAMERHE, Président de l'Assemblée Nationale, et Léon KENGO WA DONDO, Président du Sénat, ont fait publiquement l’inventaire sans complaisance des graves problèmes sécuritaires, économiques et sociaux, que rencontre la République Démocratique du Congo. Delly SESANGA DJA KASENG, député de l’opposition, n’a fait, en somme, que développer, dans le texte de son interpellation, l’appréciation critique d’une année de Gouvernement d’Antoine GIZENGA, que partageaient la plupart des parlementaires, de retour de leurs circonscriptions. Son initiative de mettre en cause directement le Premier ministre rencontrait aussi la volonté des présidents des assemblées de rehausser l’institution parlementaire. C’est à ce double titre que la lecture du texte de l’interpellation, publié par le journal "La Prospérité", s’impose :

 

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

 Au moment où le Gouvernement que vous dirigez accomplit, ce 24 février 2008, un an de service dans le cadre de cette première législature de la 3ème République, soit 20% de sa durée théorique maximale ; il est venu le temps, ainsi que vous vous étiez engagé devant la représentation nationale, de rendre compte sur la politique conformément à l’article 91 alinéa 2 de la Constitution. Prenant appui sur les articles 100 al.2 et 138-3 de la Constitution et 152- 3, 171,172 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, j’ai l’honneur de vous interpeller conformément à l’article 174 alinéa 2 du Règlement intérieur précité, sur l’exercice de votre autorité, comme chef du Gouvernement, dans la conduite de la politique générale du Gouvernement sur les points qui suivent.

 Excellence Monsieur le Premier ministre,

Notre interpellation n’est pas fondée sur des considérations générales. Elle vise contrôler la manière dont vous avez exercée votre autorité au service des engagements que vous avez librement pris devant l’Assemblée nationale, lors de votre investiture en février 2007 ainsi que lors de la présentation des budgets 2007 et 2008.

Dés lors que l’Assemblée nationale avait adopté, après débats, votre programme ; celui –ci est devenu le cadre de référence dans la conduite des affaires de l’Etat. Il s’impose ainsi comme l’unité de mesure de votre responsabilité constitutionnelle devant l’Assemblée nationale.

C’est donc à lui, et à lui seul, que nous nous référons dans le cadre de la présente interpellation.
A ce sujet, notre préoccupation réside dans les contre performances enregistrées et qui mettent en cause sa réussite, hypothéquant ainsi l’avenir de ce Congo dont vous avez nourri l’ambition d’en assurer le redressement dans un plus bel élan.

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Il vous souvient que lors de votre discours d’investiture vous aviez, avec raison, stigmatisé la précarité de la situation du congolais, que vous aviez, considérée comme la résultante, je cite, entre autres : « du démantèlement des piliers essentiels du pouvoir étatique, le manque de rigueur dans la gestion des ressources financières et économiques, l’érosion monétaire due à la gestion irresponsable des finances publiques et de la monnaie ainsi que le pillage et l’exploitation de ressources naturelles ». Et vous diagnostiquiez que : « tout cela n’est pas ni de l’incapacité des dirigeants, mais les conséquences d’une œuvre de destruction et de spoliation des régimes de domination, qui affaiblit un peuple en lui enlevant tous les droits. »

Conscient de la situation préoccupante du moment, vous avez proposé dans un élan volontariste de rupture un programme de refondation axé sur :

• la consolidation de la Nation, la construction de l’Etat et la restauration de son autorité ;

• la relance de l’économie,

• la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales,

• la restauration de la famille et des valeurs sociales avec un accent particulier sur la lutte contre la corruption, sous toutes formes, et contre l’immoralité politique.

A l’analyse, nous sommes aujourd’hui préoccupés par le niveau de réalisation des facteurs et des repères que vous avez soulignés, comme la clé de réussite de votre programme.

D’où l’objet de la présente interpellation.

C’est donc sur la foi des engagements de votre programme que nous souhaitions avoir des éclairages sur leur mise en œuvre, conscient de la lourde et délicate mission qui est la vôtre à la tête du Gouvernement de la République.

1. SUR LE PLAN DE LA CONSOLIDATION DE LA PAIX ET DE LA NATION AINSI QUE DE LA RESTAURATION DE L’AUTORITE DE L’ETAT

Le contrat de gouvernance, que vous décriviez comme l’innovation de taille dont le peuple appréciera la pertinence et l’impact dans les prochains mois tarde à donner la mesure des résultats spectaculaires que vous lui assigniez.

Dans le cadre du Contrat de Gouvernance, vous vous êtes néanmoins engagé à mettre en place des institutions sécurité des personnes et de leurs biens, la sécurité juridique et judiciaire, la transparence dans la gestion, l’obligation de rendre compte et l’obligation de réaliser des résultats. Vous avez, à cette occasion, ciblé les domaines prioritaires que sont l’intégration de l’armée, la démobilisation et la réinsertion ainsi que la modernisation de la police et du système judiciaire.

A. La défense nationale et sécurité : Armée et Police nationale

Concernant la réforme de l’Armée, la question à cette étape consiste à savoir quelle est votre politique dans la conduite de ce processus en vue de doter notre pays d’une armée opérationnelle, disciplinée, dissuasive et moderne, capable de sécuriser nos populations et nos frontières. Combien a coûté le processus ?

Combien vous faut- il pour parachever l’intégration de l’armée et en combien de temps ? L’opinion aura noté qu’il aura fallu un an presque pour que le Gouvernement consente à tenir une table ronde sur la sécurité. Qu’est- ce qui explique un temps si long sur un sujet aussi urgent que sensible ? Dans quels délais peut- on alors espérer, au niveau du Parlement, obtenir la loi sur la programmation militaire que vous avez promise lors de votre investiture ? Vous avez fait du contrôle de nos frontières l’une de vos missions de premier plan. Vous proclamiez alors qu’elle est une garantie de votre politique de paix et de bon voisinage. Comment sont gardées nos frontières ? Après l’affaire de KAHEMBA, quelle est la politique menée pour assurer nos citoyens sur le respect de l’intégrité de nos frontières ? Quant à la sécurité des biens et des personnes, vous vous êtes engagé à améliorer, de manière significative, le service public de la Police nationale. Vous avez promis les actions urgentes en vue de renforcer la sécurité des biens et des personnes. Où en êtes- vous avec l’engagement de ces actions et en quoi elles consistent d’autant que la dégradation de la situation sécuritaire n’est plus l’apanage des zones de conflit de notre pays, mais est devenue le lot quotidien de toutes les agglomérations de la République où on assiste à la recrudescence des viols et braquages des paisibles citoyens sans que la justice promise ne s’en suive. Elle est où cette police en nombre et en qualité que vous avez promise pour sécuriser les biens et les personnes ? Pouvez- vous expliquer à la représentation nationale pourquoi l’opinion nationale a le sentiment que le recours à la force dans les opérations de maintien de l’ordre donne lieu à un usage disproportionné de la force publique, au détriment des droits de l’homme ? La Constitution place les services de sécurité sous l’autorité du Gouvernement. Quelles sont les actions que vous avez entreprises dans la perspective d’avoir l’autorité effective sur ces services, mais aussi quelles sont les mesures envisagées pour asseoir leur restructuration en vue d’adapter leur fonctionnement au nouveau contexte démocratique ?

B. Justice : Indépendance du pouvoir judiciaire et réforme de la Justice

Lors de votre investiture, vous aviez engagé le Ministre de la Justice à accélérer la mise en œuvre de la réforme qui garantirait l’indépendance du pouvoir judiciaire. Où en sommes nous avec cette réforme ? Et surtout, comment expliquez- vous que vous ayez engagé le Gouvernement dans la violation de l’indépendance du pouvoir judiciaire avec les récentes nominations des hauts magistrats ? Quelle a été l’urgente nécessité qui vous donne autant des libertés avec la Constitution ? Quelle est l’orientation que vous donnez à cette réforme ? Quelle est la nature de l’accélération que vous entendez lui imprimer et dans quel horizon de temps cette réforme sera-t- elle appliquée et pour quels résultats ? Quel en est le coût ? Dans la lutte contre l’impunité, le ministre de la Justice était chargé d’établir un contrat de performance avec les organes de poursuite dont l’inexécution devait entraîner, ipso facto, la relève de fonctions des responsables inefficaces. Où en sommes-nous avec l’élaboration de ce contrat de performance ? Et quels en sont les termes de référence ?

L’accélération de la décentralisation

Vous aviez annoncé du haut de la tribune de l’Assemblée nationale, l’engagement des actions d’urgence pour accélérer la mise en œuvre de la décentralisation et redynamiser l’administration de la proximité sur ce volet, vous aviez promis trois projets de loi portant respectivement sur Conseil économique et social que la loi financière. A ce jour, aucun de ses projets de loi n’a été déposé au Parlement. Pourquoi ? Comment, par ailleurs, entendez-vous accélérer la mise en œuvre de la décentralisation sans que votre Gouvernement ne puisse se donner des instruments financiers cités ci haut, promis en urgence ? Y a- t- il un sens à l’urgence lorsque vous évoquez celle-ci ? A quelle durée et à quel rythme cela correspond-t-il ?

C. Le pluralisme politique : réforme des médias publics et dialogue avec l’opposition

Vous avez fait de la communication l’un des secteurs clés de votre action gouvernementale. A cet effet, vous aviez promis la reconfiguration du paysage médiatique pour coller aux réalités et faire de la radio et de la télé nationales des véritables médias publics, accessibles à tous les courants de pensée. Et, vous vous êtes engagé pour la révision de la législation de la communication et une nouvelle politique d’attribution d’aide publique.

Où en sommes nous avec cette réforme annoncée ? Comment pouvons-nous expliquer que les antennes de la RTNC soient plus fermées qu’avant à la diversité d’opinions, d’autant que les émissions de débat politique contradictoire ont disparu de la grille des programmes ?

En démocratie ouvert, vous aviez pris l’engagement d’avoir un dialogue et d’être à l’écoute de l’opposition. Par quel mécanisme assurez-vous ce dialogue et comment êtes-vous à l’écoute de l’opposition un an après ?

E. La moralité publique : la responsabilité politique au seuil de la lutte contre l’impunité

Vous avez pris le ferme engagement de coopérer étroitement et en toute transparence avec le parlement, et vous renchérissez qu’il en sera le cas même lorsqu’il y aura des désaccords.

A cet effet, vous avez solennellement dit, je cite : ‘‘Je m’engage en particulier sur trois points » ;
‘‘Premièrement, si un membre du Gouvernement n’est manifestement pas à la hauteur de sa tâche, où s’il manque aux obligations que lui impose sa charge, je n’hésiterai pas à lui demander sa démission.

‘‘Deuxièmement, je reconnais l’importance du contrôle démocratique exercé par l’Assemblée nationale. Je m’emploierai donc à fournir rapidement toutes les informations nécessaires à cet effet.

‘‘Troisièmement, je maintiendrai un dialogue régulier avec l’Assemblée nationale ; notamment à travers les engagements de transparence souscrits dans le contrat de gouvernance.

‘‘Quatrièmement, mon Gouvernement sera proche de l’opposition et sera en permanence à son écoute’’.
Au bout d’un an d’exercice, lequel de ces points a été respecté ? A chaque fois que le Parlement a exercé le contrôle de l’exécutif, mieux vous avez fait la sourde oreille aux désapprobations du parlement, pire vous l’avez défié en assumant l’épreuve de force, en vous abritant derrière la majorité pour évacuer ses réprobations les plus totales et absolues.

A quels principes de refondation, mettez-vous votre poids moral qui est certain dans notre pays ?
Concernant les incompatibilités qui frappent certains membres du Gouvernement par rapport à leurs fonctions au sein des organes dirigeants des partis politiques, vous vous êtes engagé en tant que Chef du Gouvernement pour qu’après leur investiture, tous les membres du Gouvernement se mettent en règle par rapport à la Constitution et à la loi.

Et pourtant, de façon encore ostentatoire, les membres du Gouvernement se revendiquent encore d’assumer des fonctions dans leurs partis politiques, qui ont été convertis en fonctions honorifiques sous des appellations diverses qui ne cachent rien de la réalité du détournement de la loi.

II. SUR LE PLAN ECONOMIQUE ET FINANCIER

Vous aviez annoncé avoir levé l’option de l’économie sociale du marché qui sera concrétisée par des réformes structurelles et sectorielles que vous alliez engager et expliquer dans le plan d’action sectoriel de chaque département ministériel.

 A. Le chantier des réformes structurelles et sectorielles

L’engagement du Gouvernement était de déposer au cours de la session d’avril 2007 une loi-cadre regroupant les réformes prioritaires en vue de répondre aux exigences d’un cadre incitatif au développement des investissements privés et des affaires.

Pourquoi ces plans d’action sectorielle des ministères, en fait des différents secteurs clés de l’économie, ne sont jamais venus pour concrétiser la promesse du Gouvernement ? Dès 2007, il avait été promis un plan d’action avec une feuille de route précise, à la fois réaliste et ambitieuse pour tenir compte du programme d’urgence. Il n’est jamais venu.

Faut-il rappeler que vous aviez promis que le Gouvernement déposera son plan détaillé et chiffré avec les séquences opérationnelles et les différents cadres sectoriels à court et moyen termes à l’occasion du dépôt de la loi budgétaire.

A l’occasion des dépôts des projets de loi budgétaire en 2007 et 2008, rien de tel n’est venu constater ces cadres sectoriels.

Au mois d’Avril 2007, la loi cadre sur les réformes promises n’est pas venue concrétiser la promesse gouvernementale.
Vous aviez pris l’engagement de relever les recettes de l’Etat en recourant notamment, dans le cadre des réformes fiscales et douanières, à la mise en place d’un partenariat public-privé pour renforcer le mécanisme de perception des droits de douanes en assurant plus d’efficacité et de transparence. Ce choix existe-t-il toujours ? Où en sommes-nous avec sa mise en œuvre ? Si tel n’est pas le cas, quelles sont les motivations qui ont justifié le revirement du Gouvernement ?

En vue de favoriser l’investissement direct étranger et le partenariat public-privé, vous vous étiez engagé à mettre fin aux monopoles inutiles, de fait comme le droit, dans le domaine de la production. Vous visiez alors le secteur de l’eau, de l’électricité, des transports, des travaux publics, de l’habitat, des assurances et de la sécurité sociale.

Quels sont les secteurs qui sont en voie d’être ouverts à la concurrence ? Quelles sont les dispositions légales et règlementaires que votre Gouvernement s’apprête à prendre dans cette réponse ?

B. La lutte contre les inégalités : le chômage et la hausse de prix

Vous aviez martelé que la lutte contre le chômage n’est pas une priorité, mais qu’elle est la priorité des priorités. Combien d’emplois ont été générés depuis ? Le Forum sur l’emploi s’est-il tenu ? Quels en ont été les termes de référence ? Vous aviez promis, par un choix politique difficilement tenable dans le contexte actuel, les embauches dans l’administration publique pour résorber une partie du chômage. Avez-vous répertorié les postes disponibles et combien d’embauches ont été opérées ? Et surtout où en êtes-vous avec la politique active et responsable promise en matière de la gestion de la paie du personnel civil et militaire de l’Etat ?

En attendant la restructuration d’un certain nombre des secteurs en vue de libérer les énergies et notamment de favoriser la création d’emploi ; le potentiel d’emplois dans les domaines des services, des transports et de l’énergie est gelé par l’inaction du Gouvernement, mettant en cause les perspectives d’une amélioration de l’emploi par le secteur privé. Celui-ci a remis, par l’intermédiaire de la FEC, un document sur les réformes essentielles à conduire, dont certaines sont rapides à déployer. Que fait le Gouvernement dans ce secteur de la conduite des grandes réformes économiques et à quand les plans sectoriels de travail ?

Toujours sous le sceau de l’urgence, vous aviez promis d’engager la réforme de la sécurité sociale et la transformation de l’INSS. J’avais personnellement trouvé que cet engagement en valait la peine.

Pouvez-vous, Excellence Monsieur le Premier Ministre dire à l’Assemblée nationale, et à travers elle aux millions des bénéficiaires légaux des prestations de l’INSS, où en êtes-vous avec cette réforme urgente et en combien de temps pensez-vous la faire aboutir ?

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

En novembre 2007, vous affirmez à l’Assemblée nationale d’avoir non seulement réussi à stabiliser la monnaie ainsi que les prix des biens et services sur les marches mais résorbé le déficit public. Et pourtant, la reprise de l’inflation au cours de ce premier trimestre a fait voler en éclat le cadrage macroéconomique très optimiste de votre Gouvernement. Avec ce dérapage, la flambée des prix confine aujourd’hui nos populations dans une plus grande misère, rivées à la pauvreté abjecte, mettant en cause les améliorations de certains salaires consenties votre Gouvernement.

Les augmentations consenties étant captées par la hausse des prix ; les inégalités et la pauvreté reprennent le dessus dans la vie quotidienne de nos populations.

Qu’entend faire votre Gouvernement face à cette réalité ? Quel est le sens que vous donnez à la lutte contre les inégalités dans votre programme ?

C. La gestion des finances publiques : le point d’achèvement

Dans le cadre de la Bonne Gouvernance sur le plan des finances publiques, vous vous êtes engagé, vu le résultat les résultats de la gestion antérieure que vous avez eu raison de critiquer fortement, à restructurer la gestion des finances publiques de sorte à les rendre transparentes ainsi que ka gestion des ressources naturelles.

Vous aviez, à l’occasion de la présentation du budget 2007, présenté une situation résultante des finances publiques avec les économies budgétaires réalisées de plus de 50 milliards CDF. Et vous affirmiez avoir consacré plus de la moitié aux opérations de sécurisation de l’Est du pays. Cependant, le Gouverneur de la Banque centrale vous a récemment contredit en soulignant l’absence de la discipline budgétaire et le relâchement de la politique monétaire.

Comment expliquer, Excellence Monsieur le Premier Ministre que malgré les resserrements de la politique budgétaire et la conduite de la politique monétaire prudente, dont vous étiez fait le garant en novembre 2007, le pays se soit retrouvé dans une forte perturbation économique en fin décembre 2007 au point que la perspective de conclure un programme formel avec le FMI soit remis à plus tard.

Puisque vous évaluez conformément au DSCRP, à 14 milliards de dollars américains pour les trois premières années (2007, 2008, 2009), vous rassuriez alors que cette hypothèse repose sur votre détermination à conclure dans un bref délai un programme avec les institutions financières internationales. Quel est le cap de financement à ce jour et aussi quel est l’impact de la non conclusion d’un accord formel avec le FMI, alors que nous sommes pratiquement à la moitié de la période à financer ?

Plusieurs d’entre nous députés, avions à l’époque suggéré, Monsieur le Premier Ministre, de dresser un chemin critique qui sécurise l’accès du pays au point d’achèvement.

Vous aviez semblé considéré cela comme dérisoire. Car, vous répondiez en ces termes : ‘‘s’agissant du chemin critique vers le point d’achèvement …il sera développé dans le plan d’actions détaillé qui va accompagner le dépôt du projet de la loi budgétaire 2007’’.

Et, si vous estimiez qu’en ce moment là il était hasardeux, voire irresponsable, de présenter un chemin critique vers le point d’achèvement, sans états des lieux exhaustifs et sans connaître réellement l’héritage légué par le Gouvernement ‘‘1+4’’, lors du dépôt du budget 2007, ni le plan d’actions détaillé, ni l’origine des ressources, toutes choses promises en même temps, le chemin critique vers le point d’achèvement n’ont été présentés dans le budget 2007  et pourtant, en novembre 2007, vous affirmiez ici que vous aviez accompli et réussi à :

- Sortir le Gouvernement congolais de la spirale du financement monétaire, responsable de la dépréciation constante de notre monnaie ; - Respecter les critères devant conduire à la conclusion prochaine d’un programme formel qui bénéficiera de l’appui financier des partenaires extérieurs et à engager résolument le pays sur la voie du point d’achèvement et de l’annulation de sa dette extérieure à l’horizon 2008.

- Est-ce l’excès d’optimisme ? Ou encore les choses vous ont échappé ? Ou encore que la détermination a fait défaut ?

Le résultat aujourd’hui, Excellence Monsieur le Premier Ministre, est là ; la réalité financière vous rattrape et avec vous, le pays n’a pas atteint le point d’achèvement en 2007, et ce ne sera pas 2008, le plus tôt et au mieux c’est 2009 et voire 2010.

Quand est-ce que le pays atteindra le point d’achèvement de l’initiative PPTE ? Et quand est-ce que votre Gouvernement va être en programme avec le FMI ? Qu’est-ce qui vous empêche d’y parvenir ? Acceptez-vous d’en dressez un chemin critique responsable ?

D. La tolérance zéro du secteur minier

Quelle est au demeurant, le sens d’une politique de révisitation des contrats assortie d’une politique de signature concomitante d’autres contrats dans des termes identiques ?

Vous vous engagez dans le cadre du partenariat avec la Chine dans la signature des nombreux contrats dont l’objet viserait à couvrir le part des engagements de l’Etat congolais dans le programme d’infrastructures à construire.
Pouvez-vous expliquer à l’Assemblée nationale pourquoi les résultats de révision des contrats miniers ne sont pas toujours mis à la disposition ?

Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Vous aviez pourtant promis d’observer une tolérance zéro dans le secteur minier et de dénoncer les éventuels aspects léonins ou les mauvaises applications éventuelles des contrats des secteurs minier, forestier, des télécommunications et autres.

E. La politique des investissements publics : exigence de transparence

Vous avez pris l’engagement de soumettre au Parlement une loi de programmation des investissements. Mais c’est par les médias que les représentants du peuple apprennent que certains ministres ont décidé du gros des infrastructures à bâtir. Ces infrastructures sont par ailleurs inégalement réparties sur l’étendue de la République.
Quand est- ce que cette loi viendra ? Quelle sera sa portée dès lors tout aura été vidé de sens préalablement ?

F. La cerise sur le gâteau : des nouvelles technologies aux sports de vacances

Le Gouvernement entendait, dans le domaine de la recherche scientifique et des nouvelles technologies des actions ciblées qui seront définies dans le plan détaillé et qui devait être présenté dans le projet de loi budgétaire 2008.

Quels sont ces domaines de recherche et des nouvelles technologies où les actions ciblées ont été menées avec quels résultats ?

A la nombreuse jeunesse de notre pays, vous avez promis l’organisation des sports de vacances.
Quand est-ce que ces sports de vacances sont programmés et quelles vont être les parties prenantes ?

Enfin, nous avions été frappés par le souci de la culture de votre Gouvernement. Il y avait là lieu d’innover et nous attendons toujours l’inventaire du patrimoine culturel, matériel et intellectuel pour en préserver la qualité, comme vous l’aviez suggéré.

 
Delly SESANGA DJA KASENG

Député National

[Continuez et terminez la lecture de l'article en cliquant http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-18259963.html]
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30 mars 2008 7 30 /03 /mars /2008 11:03
[Suite et fin de

* Interpellation du Premier Ministre Gizenga en RD du Congo : les leçons du report http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-18259749.html]



Une Constitution s’use lorsque les acteurs constitutionnels ne s’en servent pas. Tel n’a pas été le cas en l’espèce.

La motion d’interpellation du député Delly SESANGA DJA KASENG a été traitée, lors d’une "session haute tension!", suivant les prescrits du Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale, qui développe les articles 112 et 138 de la Constitution de 2006.

  • Les soutiens de l’exécutif n’ont pas empêché l’inscription de l’interpellation du Premier ministre sur l’agenda de l’Assemblée Nationale. Ainsi,  La conférence des présidents a fait figurer la motion déposée pour le compte de l’opposition parlementaire sur le projet de calendrier des travaux de la première session ordinaire 2008, qu’elle a arrêté, conformément à l'article 51 du Règlement intérieur de l'Assemblée Nationale.
  • Le Président de l’Assemblée a soumis ce projet à l’assemblée plénière, « organe suprême de l’Assemblée Nationale » qui a seule compétence pour fixer l’ordre du jour selon l'article 8 du Règlement intérieur.
  • Lors de la plénière du 20 mars 2008, la recevabilité de la motion d’interpellation a été discutée et rejetée, comme le relate le journal "Le Potentiel" dans un compte rendu fort instructif :   

« Le débat a tourné donc autour des articles 61, 171,172, 173 et 174 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Au moment où le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a demandé au député Sessanga Impungu, auteur de l’interpellation, de la lire, le député Emery Okundji, par motion, a suggéré au président de l’Assemblée nationale de suspendre la séance en attendant que les textes soient distribués à tous les députés pour qu’ils en prennent connaissance et réagissent en connaissance de cause. Et ce en conformité avec l’article 61 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale [« Les documents à soumettre aux délibérations des membres de l’Assemblée plénière, sont distribués quarante-huit heures au moins avant les séances, sauf cas d’urgence. »]. Son collègue Bofassa Djema a répliqué en s’appuyant sur les articles 172 et 173 du même Règlement intérieur qui n’imposent pas que le texte soit distribué au préalable. Il en est de même du député Lomeya qui a estimé par sa part, dès lors que le bureau de l’Assemblée nationale est saisi, cette interpellation est d’office initiée. Non, ont rétorqué les députés Munday et Tshibangu qui ont évoqué l’article 171, lequel souligne que l’interpellation peut intervenir à tout moment, mais pendant « la session ordinaire ». Or, le député Sessanga a déposé l’interpellation le 11 mars au bureau de l’Assemblée nationale alors que la session ordinaire s’est ouverte seulement le 15 mars. Le fait s’étant produit hors délai, cette interpellation n’engage par la session. Et qu’en plus, l’interpellation est initiée par le député, son auteur, et non le bureau ou l’Assemblée nationale, ont-ils soutenu.

La voie de sortie pour les départager a été proposée par le député Jean-Claude Vuemba. Etant donné que le gouvernement s’est excusé pour des raisons d’Etat, avec la réunion du Conseil des ministres ce vendredi à Matadi, au Bas-Congo, il a invité son homologue Sessanga, au regard de la pertinence des observations soulevées, particulièrement l’article 171, de reprendre la procédure. Proposition acceptée par le député Sessanga qui a décidé de se référer à sa famille politique afin de se conformer au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. « En droit, la forme prime sur le fond », a-t-il reconnu. C’est sur ce ton plein de sagesse que le président de l’Assemblée nationale a clos le débat sur ce point ».

 

En attendant l’acte II, l’affaire de l’interpellation du Premier ministre Gizenga mérite attention. Comment analyser le recours effectif à la Constitution pour activer un spectaculaire instrument de contrôle parlementaire et fixer son sort ? S’agit-il seulement, sous couver du droit, d’un règlement de comptes entre les composantes de la majorité présidentielle hétéroclite qui soutient Joseph KABILA ? Faut-il y voir une « fronde parlementaire » prometteuse – inimaginable dans la France d’aujourd’hui qui pourrait réformer ses institutions en copiant les africains -, une avancée de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste, ou encore l’espoir d’une pacification durable de la politique par la Constitution ? Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que la Constitution du 18 février 2006 a subi certaines attaques, avec, d’une part, la tentative avortée de l’automne 2007 de procéder à de réviser précocement la loi fondamentale pour attribuer au Chef de l'Etat la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, et, d’autre part, les ordonnances présidentielles du 9 février 2008 de purge de la magistrature. Le pouvoir législatif, à la différence du pouvoir judiciaire, serait-il en passe de s’émanciper de l’exécutif, nonobstant le présidentialisme ? En somme la Constitution du 18 février 2006 pourrait-elle générer de « bons » usages du droit ?

 *

Amis et visiteurs de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, je vous invite à laisser vos commentaires, à séparer le bon grain de l’ivraie pour tirer les leçons de l’acte I de l’interpellation du Premier ministre Gizenga. 

Au plaisir d’échanger

 

SB

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9 mars 2008 7 09 /03 /mars /2008 11:56
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Le 9 février 2008, Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo, a pris, sous la forme d’ordonnances dites « d’organisation judiciaire », des mesures individuelles de mise à la retraite, de démission d’office ou de nomination de magistrats du siège ou du parquet :
 
 
Sur le terrain de l’opportunité, les ordonnances de Joseph Kabila, visant, selon le pouvoir, à assainir un appareil judiciaire gangrené par les maux les plus divers (cf Le ministre de la justice dénonce le pourrissement du pouvoir judiciaire), semblent avoir été plutôt bien accueillies, au moins par une partie de la presse : Magistrature: mettre fin à la pourriture! (Le Phare), Magistrature: aller jusqu'au bout du nettoyage! (digitalcongo).
En revanche, la constitutionnalité des « ordonnances d’organisation judiciaire » a été vivement contestée par l'opposition et nombre de magistrats, qui ont dénoncé une violation des garanties d’indépendance de la magistrature prévues par la Constitution du 18 février 2006. Le MLC de Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle, a considéré que les ordonnances querellées freinaient l'avancée de la RDC vers un Etat de droit ; il a qualifié les mouvements dans la magistrature de "recul de la démocratie". Le Syndicat national autonome des magistrats du Congo (Synamac) a déclenché, le 15 février 2008, une grève dans la magistrature, dans le but d’obtenir, selon le communiqué officiel, l’annulation des ordonnances inconstitutionnelles et l’ouverture de discussions. Il s’en est suivi une paralysie de l'appareil judiciaire, durement ressentie par les justiciables. Le mouvement a été suspendu le 21 février 2008 pour que des pourparlers puissent s’engager avec les autorités compétentes.
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Cette affaire interpelle le constitutionnaliste. Il ne s’agit pas de discuter de l’opportunité ou du bien-fondé des ordonnances du 9 février 2008, mais d’examiner les arguments de droit en faveur ou en défaveur de leur conformité à la Constitution du 18 février 2006.
Il convient, d’abord, de bien identifier l’objet de la controverse constitutionnelle.
Les ordonnances querellées comportent toutes le visa suivant :
« Vu la Constitution, spécialement en ses articles 69, 79, 82 et 223».
Par ailleurs, leurs motifs généraux sont identiquement rédigés :
 « Attendu que les circonstances exceptionnelles ne permettent pas de réunir le Conseil Supérieur de la Magistrature non encore mis en place ;
Vu la nécessité et l’urgence »
            Le problème de droit peut, dès lors, être formulé comme suit : la Constitution du 18 février 2006 reconnaît-elle – implicitement - au Président de la République le pouvoir exceptionnel de nommer et de révoquer des magistrats, en l’absence de proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature, tant que cette institution constitutionnelle n’a pas été installée ?
            Plusieurs points de la controverse méritent examen :
 
  1. Sur les prérogatives présidentielles découlant de l’article 69 de la Constitution
 
Selon le pouvoir et ses partisans, le Président de la République, avait le droit de signer les ordonnances du 9 février 2008, en tant que "garant de la Nation". Cette qualité lui est conférée par l’article 69 de la Constitution du 18 février 2006 :
« Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale.
Il veille au respect de la Constitution.
Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux. »
Pour abonder en ce sens, il faut opter pour une lecture très présidentialiste de l’article 69 : cet article ne se bornerait pas à énoncer les missions que le Président de la République doit remplir, dans et par l’exercice des attributions qui lui sont expressément conférées par d’autres dispositions de la Constitution ; l’article 69 doterait implicitement le Président de la République de toutes les attributions qu’il jugerait indispensables à l’accomplissement de ses missions. En l’espèce, le Chef de l’Etat pourrait s’affranchir de l’exigence constitutionnelle d’une proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature : les ordonnances d’organisation judiciaire se justifieraient par la nécessité impérieuse d’assurer « le fonctionnement régulier » de l’institution judiciaire, en la purgeant de ses vices et en rétablissant son crédit.
Pour exorbitante qu’elle puisse paraître à certains amis et visiteurs de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, une telle dilatation de l’imperium présidentiel est susceptible de s’imposer. Le recours du Président de la République Démocratique du Congo à l’article 69 de la Constitution pour s’attribuer le pouvoir de procéder seul à des mouvements dans la magistrature n’est pas sans précédent dans la région. En Centrafrique, le Président Bozizé n’a-t-il pas, par exemple, « cassé » une décision de la Cour constitutionnelle de transition qui, avec zèle, avait invalidé la candidature de 9 de ses 13 rivaux à l’élection présidentielle de 2005 ? Par une simple allocution à la nation, le chef de l’Etat a « repêché » trois candidats, « vu l’article 22 alinéas 1 et 2 de la Constitution du 27 décembre 2004 qui dispose : « Le Président de la République est le chef de l’Etat. Il incarne et assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité et la pérennité de l’Etat ». Les ordonnances du 9 février 2008 procèdent de la même logique présidentialiste que cette décision insolite.
Admettre que l’article 69 de la Constitution de 2006 reconnaît au Président de la République Démocratique du Congo des attributions implicites n’est-ce pas ruiner tout l’ordre constitutionnel ? Un article de la Constitution peut-il vraiment sous-entendre que le Chef de l’Etat est autorisé à mettre discrétionnairement entre parenthèses n’importe quel autre article ? Dans l’affirmative, la construction même d’un Etat de droit et de démocratie pluralisten’est-elle pas logiquement et irrémédiablement compromise ?
 
 
  1. Sur la nécessité et l’urgence des ordonnances d’organisation judiciaire
 
Il appartient au titulaire d’une attribution d’apprécier la nécessité et l’urgence de l’exercer. Mais, en l’espèce, le Président de la République Démocratique du Congo n’est pas pleinement titulaire du pouvoir de nomination et de révocation des magistrats, ainsi que le rappelle, conformément aux articles 82 et 152 de la Constitution du 18 février 2006, l’exposé des motifs précédant la publication, au journal officiel, de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats : le Président de la République est l’« unique autorité de nomination, de promotion et de révocation de tous les magistrats sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature ». Il appartient donc au Conseil supérieur de la magistrature d’adresser au Président de la République des propositions, le cas échéant, en urgence ; et c’est au Président de la République de décider s’il donne suite auxdites propositions par la signature de la ou des ordonnances correspondantes.
La lecture de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 confirme que le pouvoir présidentiel de nomination et de révocation des magistrats est toujours conditionné. C’est là un développement logique de la Constitution du 18 février 2006 qui affirme sans ambiguïté que la justice est séparée de l’exécutif et du législatif :
Article 149
Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
Il est dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont : la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire, les cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions.
La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple.
Les arrêts et les jugements ainsi que les ordonnances des Cours et tribunaux sont exécutés au nom du Président de la République.
Il ne peut être créé des Tribunaux extraordinaires ou d’exception sous quelque dénomination que ce soit.
La loi peut créer des juridictions spécialisées.
Le pouvoir judiciaire dispose d’un budget élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature et transmis au Gouvernement pour être inscrit dans le budget général de l’Etat. Le Premier Président de la Cour de cassation en est l’ordonnateur. Il est assisté par le Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature.
Article 150
Le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens.
Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi.
Une loi organique fixe le statut des magistrats.
Le magistrat du siège est inamovible. Il ne peut être déplacé que par une nomination nouvelle ou à sa demande ou par rotation motivée décidée par le Conseil supérieur de la magistrature.
Article 151
Le pouvoir exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni entraver le cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice.
Le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution.
Toute loi dont l’objectif est manifestement de fournir une solution à un procès en cours est nulle et de nul effet.
  
 Par ailleurs, aux termes de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats seule la promotion à un grade supérieur peut se faire d’urgence, cette décision exceptionnelle et provisoire ne relevant pas en premier lieu du Président de la République :
Article 12 :
En cas d’urgence, le Premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège ou le Procureur général près cette cour pour ceux du Parquet, peut désigner provisoirement à un grade immédiatement supérieur, tout magistrat remplissant les conditions prévues à l’alinéa 1er de l’article 11.
Cette désignation est soumise à l’approbation de la plus proche réunion du Conseil supérieur de la magistrature.
Au cas où le Conseil supérieur de la magistrature ne se prononce pas ou est dans l’impossibilité de siéger endéans deux ans, le magistrat ainsi désigné acquiert de plein droit le grade proposé. Dans ce cas, le Président du Conseil supérieur de la magistrature transmet le dossier au Président de la République pour nomination.  
Enfin, il y a lieu de souligner que la Constitution du 18 février 2006, en ses articles 85, 144 et 145, encadre assez strictement les pouvoirs présidentiels de nécessité et d’urgence. La reconnaissance au Président de la République d’un pouvoir exceptionnel de nomination et de révocation des magistrats, qui serait unilatéral et qui échapperait à toute formalité ou contrôle préalable, paraît donc contraire à « l’esprit » antiautoritaire de la Constitution et semble méconnaître les exigences élémentaires d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste.
 
  1. Sur l’absence de Conseil Supérieur de la Magistrature
 
C’est l’impossibilité, par suite de « circonstances exceptionnelles », de réunir le Conseil Supérieur de la Magistrature « non encore mis en place », qui justifierait les ordonnances du 9 février 2008.
Force est de constater que la Constitution d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste ne peut déployer tous ses effets qu’après l’installation de toutes les institutions qu’elle prévoit. Gérard Conac a souligné que dans le passé, en Afrique, « Certaines institutions constitutionnelles n’ont existé sur le papier ou dans les savantes exégèses de quelques juristes dont l’attention était polarisée sur les textes. Sur le terrain, on pouvait constater qu’elles n’avaient jamais été créées »[1]. Dans bien des pays en transition vers un Etat de droit et de démocratie pluraliste, des prescriptions constitutionnelles lacunaires permettent toujours aux gouvernants d’empêcher que certaines institutions, en particulier les contrepoids à l’exécutif, voient le jour. Au Bénin, le Président Soglo (1991-1996) a profité de l’imprévoyance relative du Constituant de 1990 pour différer l’installation de la Cour Constitutionnelle jusqu’au 7 juin 1993, du Conseil Economique et Social, jusqu’au 17 mai 1994 et de la Haute Autorité de l’Audiovisuel de la Communication jusqu’au 14 juillet 1994 ; sans la vigilance de l’opposition et l’arbitrage de la justice constitutionnelle, le Bénin n’aurait pu connaître cette trajectoire exemplaire, souvent enviée en Afrique[2]. Le cas du Cameroun est également topique : l'article 67 (1) de la Constitution de 1996consacre la progressivité dans la mise en œuvre des dispositions relatives aux nouvelles institutions, soit, selon Alain Didier Olinga, une formule de « renvoi à la loi » et à « l’inertie éventuelle de pouvoirs publics » ; c’est ainsi que le Président Biya peut envisager aujourd’hui, en toute légalité, une révision de la Constitution levant la limitation du nombre de mandats présidentiels, alors même que le Sénat et le Conseil Constitutionnel ne sont toujours pas entrés en fonctions, près de douze ans après leur création formelle.
Le Président de la République Démocratique du Congo, signataire des ordonnances du 9 février 2008, doit-il être ajouté à la liste des Chefs d’Etats africains qui exploitent les failles ou jouissent des faveurs des textes constitutionnels pour pérenniser un présidentialisme de mauvais alois ? Force est de constater que le titre VIII: des dispositions transitoires et finales de la Constitution de 2006n’impose pas la mise en place des nouvelles institutions dans un délai préfix raisonnable et prévoit la survie des textes en vigueur qui ne sont pas contraires à la Constitution. Il est donc avéré qu’à la date du 9 février 2008, le Conseil Supérieur de la Magistrature prévu par l'article 152 de la Constitution de 2006 n’avait pas été installé et ne pouvait l’être. Me Mutombo Bakafwa Nsenda, Ministre de la Justice, a souligné que ce vide institutionnel ne pouvait être rapidement comblé. A l'analyse, deux conditions juridiques préalables doivent être réunies :
-         Il faut, d’abord, que la loi organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, soit promulguée ; le projet de loi organique adopté par l'Assemblée Nationale le 19 décembre 2007 devait encore être examiné par le Sénat à la date du 9 février 2008 ; en l’absence de ladite loi organique, le CSM ne pouvait être fonctionnel !
-         Il faut, aussi, que les institutions dont des membres siègent de droit au Conseil Supérieur de la Magistrature soient toutes installées et fonctionnelles ; cette seconde condition n’est pas présentement remplie, s’agissant de la Cour Constitutionnelle, de la Cour de cassation ou encore du Conseil d’Etat, les attributions de ces hautes juridictions étant provisoirement assumées par l’antique Cour Suprême de Justice ; le pouvoir estime qu’un délai minimum de 12 mois serait requis, ce qui renvoie la fonctionnalité du CSM à février 2009 au plus tôt !
En l’absence du Conseil Supérieur de la Magistrature de l'article 152 de la Constitution de 2006, en l’absence de « l’organe de gestion du pouvoir judiciaire », c’est incontestablement l’existence du « troisième pouvoir » qui se trouve menacée. Mais, à l’évidence, le service public de la justice ne peut fonctionner normalement, tant qu’il est juridiquement impossible de procéder au moindre mouvement dans la magistrature. Pour autant, il est manifestement contraire à « l’esprit » de l'article 152 de la Constitution de 2006 que le Président de la République puisse seul nommer et révoquer des magistrats. Raisonner différemment revient pour le Chef de l’Etat à se substituer entièrement à une institution constitutionnelle de contrepoids ; or, Joseph Kabila, dans son allocution du 6 décembre 2007, s’est dit opposé à toute révision de la Constitution et, en substance, à celle préconisée par la majorité présidentielle à l'automne 2007 : l’attribution au Président de la République de la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature. En prenant les ordonnances du 9 février 2008, le Président de la République peut donner le sentiment d’opter, aujourd’hui, pour une solution encore plus radicale que celle refusée quelques mois plus tôt ; et, au surplus, il choisit seul une partie des hauts magistrats qui siègeront de droit, demain, au futur CSM…
Comment sortir de l’impasse, en respectant la lettre et l’esprit antiautoritaires de la Constitution de la République Démocratique du Congo ?
En attendant l’installation du Conseil Supérieur de la Magistrature de l'article 152 de la Constitution de 2006, une institution régie par un texte ancien – et délibérément ignoré – ne fait-elle pas office de CSM provisoire ? Ne faut-il pas considérer que l'Ordonnance n°87-394 du 18 décembre 1987 portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature, republiée au Journal Officiel du 1er avril 2004, sous l’empire de la Constitution de la transition du 4 avril 2004 est toujours en vigueur ? A moins qu’il ne faille se fonder sur un texte encore antérieur, à savoirl’ordonnance d’organisation judiciaire n°83-127 du 21 mai 1983, portant organisation, compétence et procédure du Conseil Supérieur de la Magistrature (J.O. n° Il 1er juin 1988, p.11),comme l'ont affirmé, dans leur "droit de réponse", des magistrats de la Cour Suprême de Justice mis à la retraite.  
 
Une solution raisonnable et juridiquement défendable peut être très certainement envisagée. Il n’empêche qu’à l’instar de nombre de pays africains et aux antipodes des clichés persistants sur l’absence de droit en Afrique, la République Démocratique du Congo connaît un véritable imbroglio. A qui faut-il l’imputer ? Au seul Constituant de 2006 qui ne s’est pas soucié de fixer un échéancier pour l’installation des institutions nouvelles ? Au Président de la République, au Gouvernement et/ou au Parlement qui n’auraient pas, avec diligence, créé l’environnement juridique sans lequel la Constitution n’érige que des « barrières de papier » aux abus de pouvoir ? A… ?
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Amis et visiteurs de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, je vous invite à laisser vos commentaires, à opiner sur une controverse, qui traduit – à n’en pas douter – un intérêt renouvelé pour la chose constitutionnelle en Afrique, mais aussi met en lumière un contexte de survivance de certains usages pervers du droit hérités de décennies d’autoritarisme.
Au plaisir d’échanger
 
SB
 

[1] Gérard CONAC, « Les constitutions africaines et leur effectivité », in Dynamiques et finalités des droits africains, Paris, Economica, 1980, p. 399.
[2] Pour approfondir, v. Stéphane BOLLE, Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine par la Constitution, thèse de droit public, Université Montpellier I, 13 décembre 1997, p. 621 et s..
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