En Côte d’Ivoire, le droit des élections de sortie de crise s’élabore selon des modalités singulières.
Ce sont d’abord des « accord(s) politique(s) à contenu juridique » dérogeant à la Constitution du 1er août 2000, plus particulièrement à son article 35, qui ont modelé ce droit constitutionnel d’exception : pour mettre en œuvre les arrangements entre les principales forces politiques, le Président de la République, à la demande du médiateur de l’Union africaine, a recouru aux pouvoirs exceptionnels de l'article 48 de la Constitution et fixé les règles du jeu de la prochaine élection présidentielle, par Ordonnance n° 2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral pour les élections de sortie de crise.
C’est désormais le Conseil Constitutionnel qui dit ce droit constitutionnel d’exception, depuis sa DECISION DU 28 OCTOBRE 2009 relative au contenu des dossiers de candidature à l’élection présidentielle du 29 novembre 2009. Une décision audacieuse et vertement critiquée – ce serait une "bavure judiciaire" -, par laquelle le Conseil rétablit l’égalité entre candidats, au prix d’une réécriture des textes en vigueur.
En premier lieu, le Conseil Constitutionnel, par sa DECISION DU 28 OCTOBRE 2009, fait sienne l’analyse que faisait votre serviteur dans "Selon que vous serez signataire ou non signataire de l'Accord..." : les « textes consacrent deux catégories de candidats, à savoir d’une part, les candidats présentés par les partis politiques signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis, déclarés éligibles et, d’autre part, les autres candidats… [qui] restent soumis au régime de droit commun en la matière, à savoir la Constitution, le Code électoral tel que modifié par l’ordonnance 2008-133 du 14 avril 2008 ». Une telle catégorisation a manifestement pour objet, sinon pour effet, d’opérer une discrimination entre postulants, les uns étant automatiquement affranchis du respect de conditions d’éligibilité contestés, les autres devant obligatoirement les satisfaire sous peine d’invalidation.
Le juge des candidatures a décidé, en second lieu, que la discrimination, actée par les signataires des accords politiques et avalisée par le Président de la République, n’était pas licite. Après avoir exigé de tous les candidats, au nom du devoir de civisme fiscal, la production d’une attestation de régularité fiscale – « oubliée » par la Commission électorale indépendante -, le Conseil Constitutionnel a purgé le droit écrit de l’élection présidentielle de sortie de crise des conditions de candidature contraires au principe d’égalité. Il a, en effet, revu et corrigé le Code électoral ajusté pour « soumettre tous les candidats aux mêmes conditions d’éligibilité et […] exiger les [mêmes] pièces ». Et ce, au motif « que le respect du principe de l’égalité devant la loi prescrit par la constitution du 1er août 2000, en ses articles 13 et 30 et, de manière particulière, le principe d’égal accès aux fonctions publiques électives, prévu par la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 en son article 21, point 2 et la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981, en son article 13, point 2, auxquelles le peuple ivoirien a solennellement adhéré à travers le préambule de sa Constitution, impliquent de ne pas traiter différemment les personnes placées dans une situation identique ». C’est donc le méta-principe d’égalité, tiré de la Constitution du 1er août 2000 mais aussi de textes internationaux, qui fonde la mise à l’écart, pour tous les candidats, du controversé article 35 , notamment quant à la condition draconienne de nationalité.
Le Conseil Constitutionnel tire toutes les conséquences de la généralisation hardie de la Décision exceptionnelle du Président de la République N°2005-01/PR du 5 mai 2005 : ne s’estimant pas lié par des textes discriminatoires, il oblige les postulants à la magistrature suprême à respecter « son » droit jurisprudentiel des élections de sortie de crise. Ainsi, il invite les candidats « à compléter leurs dossiers au plus tard le mardi 10 novembre 2009 à 16 heures », une injonction tardive – le scrutin devant, en principe, se dérouler le 29 du même mois - qui ressemble à celle faîte par la Cour Constitutionnelle du Congo en juin 2009 (cf. "La Constitution est dure, mais c'est la Constitution" ).
La DECISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 28 OCTOBRE 2009 est-elle juridiquement fondée et politiquement bienvenue ? Ou faut-il y voir la manifestation d’un gouvernement des juges – indépendant ou non … -, préfigurant la réédition du calamiteux ARRET N° E 0001-2000 rendu le 6 octobre 2000 par la Cour Suprême, Chambre Constitutionnelle et mettant en péril la tenue, à bonne date, d’un scrutin présidentiel capital ?
Opinez sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE !
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « L’accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine, n°206-2003, p. 42.