La Constitution du Gabon, ce n’est pas seulement un texte ; c’est aussi la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Une jurisprudence constituante.
La Cour constitutionnelle du Gabon vient de le confirmer avec sa très audacieuse DECISION N°022 /CC DU 30 AVRIL 2018 RELATIVE A LA REQUÊTE PRESENTEE PAR LE PREMIER MINISTRE AUX FINS D’INTERPRETATION DES ARTICLES 4, 28, 28a, 31, 34, 35 ET 36 DE LA CONSTITUTION
La Cour, dotée du pouvoir d’interpréter la Constitution (Constitution du 26 mars 1991, art. 88) en cas de doute et de lacune (Loi organique n°9/91 du 26 septembre 1991 sur la Cour constitutionnelle, art. 60), a décidé que les « articles 4, 34 et 36 de la Constitution … présentent des lacunes qu’il convient de combler en complétant lesdits articles par (des) dispositions » énoncées par elle. La Cour constitutionnelle du Gabon a donc fait œuvre constituante pour solutionner la crise née de la non-organisation des élections législatives dans le délai constitutionnel – la douzième législature de l’Assemblée nationale ayant normalement pris fin le 27 février 2017-, en violation de ses propres décisions de report pour cause de force majeure - n°064/CC du 22 novembre 2016 et n°020/CC du 11 juillet 2017.
Ce « coup d’éclat jurisprudentiel » n’est pas sans précédent. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle avait déjà édicté, par décision n° 006/CC du 12 novembre 1999,une « Constitution financière de substitution » .
Cependant, avec la « Constitution jurisprudentielle du 30 avril 2018 », la Cour bouscule la Constitution politique du Gabon. L’application immédiate des règles prétoriennes a eu pour effets de mettre fin à la douzième législature de l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct ; de confier tout le pouvoir législatif – à l’exclusion de la mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement et de la révision de la Constitution - au Sénat, élu au suffrage universel indirect ; et de provoquer la cessation des fonctions du Gouvernement défaillant.
Constituante d’exception, la Cour constitutionnelle du Gabon s’est donc aussi substitué au Président de la République – seul détenteur du droit de dissolution de l’Assemblée nationale (Constitution du 26 mars 1991, art. 19) et du pouvoir de révocation du Gouvernement (Constitution du 26 mars 1991, art. 15) -, en se prévalant de sa qualité d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics (Constitution du 26 mars 1991, art. 83) … à la demande du Premier ministre requérant.
Au final, la « Constitution jurisprudentielle du 30 avril 2018 » pose d’incontournables questions de légalité et de légitimité constitutionnelles. Et il convient de verser au débat les observations faîtes naguère par le professeur Guy ROSATANGA-RIGNAULT (« Quand le juge constitutionnel « fait la loi ». A propos du pouvoir normatif du juge constitutionnel au Gabon », Palabres actuelles, n°6-2013, p. 186) :
« Le problème, et on le sait depuis Locke et Montesquieu, est qu’un pouvoir sans contrôle est un pouvoir potentiellement dangereux. D’où vient-il alors que parmi les trois pouvoirs établis par la Constitution, un seul, celui du juge (aussi bêtement humain que les autres), soit par définition bienfaisant au point qu’aucun moyen de contrôle ne soit prévu contre ses éventuelles dérives. Une telle vocation prométhéenne suppose que les personnes qui en sont investies soient des demi-dieux vertueux échappant aux humeurs et fureurs de la cité autant qu’à la triste attraction des choses de ce bas monde. En définitive, à part la foi du charbonnier ou l’idéologie, rien d’autre ne peut fonder un système établissant un contrôleur suprême que rien ni personne ne contrôlerait à son tour ».
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/