A deux reprises, en 2009, la Cour Constitutionnelle du Togo a partiellement invalidé des modifications du Code électoral, adoptées par le seul parti présidentiel ( le RPT) et dénoncées par l’opposition comme autant de violations de la Constitution révisée de 1992 et, surtout, de la logique consensualiste de l'Accord politique global de 2006.
Statuant sur un recours en déclaration d'inconstitutionnalité introduit par le principal parti d’opposition (l’UFC), la Cour Constitutionnelle, dans sa DECISION DU 9 AVRIL 2009, a, en partie, censuré la loi du 31 mars 2009 : d’une part, en référence au « principe fondamental de non-rétroactivité de la loi reconnu par les lois de la République », elle a vidé de son venin la modification de la durée du mandat de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), en considérant qu’elle ne valait que pour l’avenir et ne pouvait faire renaître la CENI des législatives de 2007 ; d’autre part et surtout, elle a déclaré nul et non avenu un nouvel article du Code électoral voté par l'Assemblée Nationale en session extraordinaire, alors qu’il ne figurait pas à l’ordre du jour limitatif de celle-ci. Cette décision a été saluée comme un coup d’arrêt à la « loi » de la majorité, même si la sanction d’un vice de procédure risquait fort d’être provisoire, puisque le parti présidentiel pouvait parfaitement reprendre l’ouvrage, sans avoir juridiquement à obtenir l’accord des autres partis.
Toujours sur saisine du principal parti d’opposition (l’UFC), la Cour Constitutionnelle vient de juger, par DECISION DU 9 JUILLET 2009, qu’un article d’une nouvelle loi modificative du code électoral, en date du 29 juin 2009, était contraire à la Constitution. En l’espèce, elle a affirmé, non sans audace, que le législateur n’avait pas le pouvoir de supprimer « un droit fondamental précédemment reconnu aux citoyens, celui de saisir le Président de la Commission Electorale Locale Indépendante (CELI) pour corriger une erreur matérielle » ; l’article censuré « enlève aux citoyens le droit de participer librement à la direction des affaires du pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis », un droit constitutionnalisé par la Cour, qui vise seulement le protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et non les autres engagements internationaux consacrant ce droit (Déclaration universelle des droits de l'homme, art. 21 1. et Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 25 a)). La Cour a affirmé « qu’en la matière, il est de principe constitutionnel et pour la consolidation de l’Etat de droit, qu’une disposition nouvelle ne peut minorer les droits établis et reconnus », consacrant en quelque sorte l’intangibilité des « droits démocratiques acquis ». Par ailleurs, la lecture de la DECISION DU 9 JUILLET 2009 instruit sur la conception que se fait la Cour Constitutionnelle du Togo du principe d’égalité entre les partis politiques et de l’impératif de clarté et d’intelligibilité de la loi électorale ; et elle témoigne de l’importance accordée à l'Accord politique global de 2006 – un accord dénué de fondement juridique ! – et au protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance – un instrument régional qui semble faire désormais partie intégrante du bloc de constitutionnalité.
A l’évidence, avec ces deux décisions, le contentieux constitutionnel de la loi électorale est promis à un bel avenir au Togo. Et cette nouvelle donne commande de se poser autrement la sempiternelle question : le droit fait-il l'élection?
Le code électoral qui régira l’élection présidentielle de 2010 – le scrutin devant, selon un communiqué de la Cour Constitutionnelle, se tenir entre le 18 février et le 5 mars 2010 – n’est toujours pas connu. Mais il y a fort à parier que la Cour Constitutionnelle, sur requête de l’opposition, innovera, en s’assurant que le code respecte bien l'article 2 1. du protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Une avancée décisive en perspective vers un droit constitutionnel commun en Afrique !
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/