Controverse autour d'une révision constitutionnelle: Mathias Eric Owona NGUINI répond à Stéphane BOLLE
Ce papier, que je vous recommande vivement de lire, porte sur la communication que j'ai présentée à la Sorbonne, le 5 mars 2008, à l'occasion de la conférence publique "Révisions constitutionnelles en Afrique. Le Cameroun marche-t-il vers le chaos?", organisée par un responsable de l'opposition :
Le pouvoir de révision peut-il tout faire?
Je crois devoir faire une mise au point pour éclairer les visiteurs de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE et les lecteurs de Mathias Eric Owona NGUINI.
Il me faut, d'abord, dénoncer de grossières contrevérités et dissiper tout malentendu sur MON IDENTITE :
° J'ai bien la qualité de Maître de conférences HDR en droit public ; je ne l'ai pas usurpée comme pourrait le laisser entendre l'expression « présenté comme... ».
° Je suis en poste à l'Université Paul Valéry - Montpellier III. Je ne vois pas ce qui permet à Mathias Eric Owona NGUINI, d'affirmer que mon « blog sur " la constitution en Afrique " [me] présente comme sociétaire de l'université de Limoges ». Faut-il y voir une simple bévue commise par un polémiste pressé qui n'a pas visité LA CONSTITUTION EN AFRIQUE ? Ou faut-il y voir une forme insidieuse de stigmatisation ?
° J'opine sur l'actualité constitutionnelle - du Cameroun comme des autres pays africains - en tant que constitutionnaliste non engagé dans les polémiques politiques et politiciennes. Il semble que Mathias Eric Owona NGUINI, « Socio-politiste », n'investisse pas le même terrain et ne se situe sur le même registre. Ces positionnements divergents alimentent certains de nos désaccords. J'ai, quant à moi, la conviction qu'il y a lieu de s'interroger sur certaines (re)lectures très partisanes des constitutions africaines auxquelles s'adonnent tant les gouvernants - j'en ai notamment rendu compte dans "Des constitutions "made in" Afrique" - que les opposants - j'ai commencé à le faire dans "Constitution, mensonges et science du droit".
° Je n'ai aucun intérêt - ni matériel, ni intellectuel - à défendre le pouvoir RDPC. J'ai toujours cultivé et je cultive une indépendance d'esprit, qui est la marque de fabrique de LA CONSTITUTION EN AFRIQUE. Je ne fais preuve d'aucun angélisme, comme en attestent deux autres papiers : "Projet de révision au Cameroun. La Constitution selon Biya" et "Les camerounaises exclues de la révision". J'ai simplement professé, dans la communication incriminée, une opinion doctrinale sur le processus de révision, aux antipodes des conceptions de Mathias Eric Owona NGUINI .
Il est donc spécieux de me présenter comme le « juriste Stéphane Bolle qui, relayé par des collaborateurs de Ephraïm Inoni, est favorable à l'opération menée à l'Assemblée nationale dans le cadre de la dernière révision constitutionnelle au Cameroun », comme le promoteur « d'un constitutionnalisme préférentiel, voire conniventiel », d'une « démarche illibérale » ou d'une « démarche pro-autoritaire », comme le dissimulateur d'un « cynisme et un conservatisme politico-juridiques favorables aux propensions autoritaires », comme le « héraut de la classe gouvernante », comme un « juriste-savant [qui] privilégie la préservation des éléments politiques et autoritaires du pouvoir de révision », ou encore comme « un juriste-constitutionnaliste [qui] se prête au jeu frauduleux et licencieux d'une transition constitutionnelle infinie et indéfinie ».
Mathias Eric Owona NGUINI aurait pu avoir l'élégance de me contredire, sans s'abîmer dans une vaine logorrhée, sans mettre en cause mon honnêteté intellectuelle. Un bon débatteur ne s'abandonne pas ainsi à des attaques ad hominem.
Je crois au débat et à ses vertus. C'est pourquoi, sans fard ni fioriture, j'entends répliquer à mon contradicteur sur le fond du dossier.
MA DEMARCHE
Les étiquettes m'importent peu, pourvu qu'elles ne dénaturent pas le sens de ma démarche.
En tout état de cause, je ne me reconnais pas dans les étiquettes plutôt fantaisistes (telles que : sectateur d'un « positivisme exégétique et instrumental, qui revendique et affiche un juridisme techniciste et objectiviste », ou d'un « technicisme » et d'un « fétichisme exégétiques » ; adepte « du réalisme utilitaire et gestionnaire de l'ingénierie constitutionnelle », du « juridisme normativiste et positiviste », d'une « démarche positiviste et normativiste », « du relativisme et du cynisme décisionnistes » ; ou encore auteur du glissement « d'un réalisme positiviste exhibé à un romantisme occasionnaliste »), dont m'affuble copieusement Mathias Eric Owona NGUINI. A l'évidence, le polémiste ne connaît ni mes travaux, ni le projet LA CONSTITUTION EN AFRIQUE. Son « regard critique sur cette pièce doctrinale » - ma communication du 5 mars 2008 - consiste simplement à disqualifier une démarche, que partagent la plupart des constitutionnalistes d'aujourd'hui.
Mon entreprise n'a pas varié depuis 1997, année où j'ai soutenu à Montpellier ma thèse de droit public : « Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d'une démocratie africaine par la Constitution ». Sans verser ni dans la science politique, ni dans un positivisme aveugle, j'entends décrypter la vie du (des) droit(s) constitutionnel(s) contemporain(s) en Afrique, en faisant le meilleur usage des outils de la science actuelle du droit. J'estime qu'il faut prendre au sérieux les constitutions africaines d'aujourd'hui, les étudier pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles devraient être. Il s'agit de saisir les textes (constitutions, lois organiques...) mais aussi les usages et les jurisprudences pour rendre compte de la Constitution appliquée ou applicable. Mathias Eric Owona NGUINI paraît allergique à ce genre de démarche intertextuelle et contextuelle, qui tranche avec un certain ésotérisme : trop de juristes s'en tiennent à une indigente lecture des constitutions, déconnectée de leur contexte ; les représentations les plus répandues payent un lourd tribut à la sociologie, à la philosophie, à l'anthropologie du droit mais aussi à la science politique ; et certains chercheurs n'hésitent pas à combiner les différentes postures !
C'est un regard différent sur la chose constitutionnelle qui contrarie le faiseur d'opinion ; le constitutionnaliste ne serait qu'un empêcheur de critiquer en rond. Mathias Eric Owona NGUINI le confesse lorsqu'il prétend : « c'est précisément sur le terrain du droit que les opposants de la manoeuvre de révision de la constitution camerounaise du 18 Janvier 1996 peuvent le mieux faire valoir leur position, en soulignant particulièrement le fait que la conduite amorcée de l'opération de révision n'est pas juridiquement impeccable ». Il serait seulement permis de bercer les camerounais d'illusions pseudo-juridiques pour pallier l'impuissance politique affirmée de l'opposition. Il faudrait mettre à l'index quiconque démontre que « les opposants à la révision de l'article 6 (1) de la Constitution du Cameroun ne peuvent l'emporter sur le terrain du droit ; il y a lieu de se demander s'ils ont bien lu la Constitution de la République du Cameroun, car bien des arguments présentés sont, à l'examen, des arguties. Leur bataille est évidemment politique et presque exclusivement extraparlementaire. Une gageure ! ».
Je doute que la fin - défendre la cause de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste - justifie tous les moyens. Les sophismes et travestissements, qui émaillent le réquisitoire de Mathias Eric Owona NGUINI à la recherche d'un bouc émissaire, posent question : qui instrumentalise qui ?
Sur ces bases, il y a lieu d'éclairer nos lecteurs sur quelques points de droit constitutionnel.
ET LE REFERENDUM ?
Contrairement à ce que veut laisser croire Mathias Eric Owona NGUINI, je n'ai exprimé aucune préférence sur la voie la plus appropriée - parlementaire ou référendaire - pour procéder à la révision constitutionnelle. Seul un prescripteur, un partisan ou le conseiller de l'un des protagonistes pourrait se prononcer en opportunité. Je n'ai aucune de ses qualités...
C'est donc en constitutionnaliste, dans les limites matérielles d'une communication, que j'ai brièvement évoqué le recours au référendum pour finaliser la révision. Il n'y avait guère d'intérêt à s'appesantir sur le sujet :
(1) La Constitution camerounaise de 1996 a été initialement adoptée par la voie parlementaire ; elle peut être licitement révisée par la voie parlementaire. En effet, contrairement à d'autres constitutions africaines, approuvées elles par référendum, la Constitution camerounaise n'impose pas l'organisation d'un référendum pour toute modification constitutionnelle (voir par exemple la Constitution du Mali de 1992, art. 118), ou pour la révision de certaines dispositions constitutionnelles fondamentales (voir par exemple la Constitution de Côte d'Ivoire de 2000, art. 126 al. 2). Le référendum de révision est purement facultatif. Ce n'est pas au constitutionnaliste mais au Constituant de 1996 que Mathias Eric Owona NGUINI devrait s'en prendre !
(2) Sauf erreur de ma part, il n'y a pas eu de véritable controverse publique sur le recours au référendum, voie « politiquement plus exigeante que la voie parlementaire en termes de formation démocratique de la volonté législatrice figurée comme volonté générale ». D'une part, le Président de la République a choisi, comme il en avait parfaitement le droit, de soumettre le projet de loi de révision à la seule Assemblée Nationale. D'autre part, l'opposition non seulement n'a pas fait campagne pour obtenir la tenue d'un référendum, mais encore a récusé cette voie licite de révision, jugeant qu'un référendum serait, comme les élections, « truqué » par le pouvoir RDPC. A titre d'exemple, l'opposant historique John Fru Ndi a affiché sa préférence non pour un référendum mais pour une "conférence constitutionnelle", c'est-à-dire pour un mécanisme non prévu par la Constitution...
Autrement dit, les opposants à la révision défendaient le statu quo constitutionnel - sur la seule question de la limitation du nombre de mandats présidentiels, tout en esquissant un schéma révolutionnaire de changement constitutionnel devant aboutir au départ du pouvoir du Président Paul Biya.
Ce n'est pas le constitutionnaliste mais la classe politique qui a « escamoté » le recours au référendum !
ASSEMBLEE NATIONALE=CONGRES
La Constitution de 1996 habilite l'Assemblée Nationale à réviser la Constitution, en lieu et place du Congrès, aussi longtemps que le Sénat n'a pas été mis en place, n'en déplaise à Mathias Eric Owona NGUINI.
Une Constitution est un tout ; une lecture fractionnée ou l'interprétation isolée d'un article n'a aucun fondement logique. En l'espèce, il convient d'appliquer le principe basique « Lex specialis derogat legi generali » : l'article 67 (3) - règle particulière transitoire attribuant à l'Assemblée Nationale « l'ensemble des prérogatives reconnues au Parlement jusqu'à la mise en place du Sénat » - prévaut sur l'article 63 (3) - règle générale attribuant le pouvoir de révision au Parlement réuni en Congrès. Raisonner autrement reviendrait à travestir la volonté du Constituant de 1996 ! Il ne s'agit donc pas d'un raisonnement de circonstance qui favoriserait « le bricolage technique et tactique ».
Je ne me désintéresse pas « de la question de la mise en oeuvre jusqu'ici retardée du Sénat qui est pourtant posé comme l'une des deux composantes du Congrès en tant que configuration légitime de la révision constitutionnelle par voie parlementaire ». J'ai simplement tiré les leçons de droit d'une situation expressément prévue par la Constitution de 1996. Je profite de la présente mise au point pour contribuer à « l'évaluation théorique et pratique de la non-installation concrète du Sénat entre janvier 1996 et mars 2008 ».
(1) Le principe de progressivité énoncé par l'article 67 (1) n'est assorti d'aucun calendrier - Le Cameroun est toujours en transition, en l'absence des régions, du Sénat et du Conseil Constitutionnel créés par la Constitution de 1996. Au nom d'une certaine morale, il est loisible aux opposants d'adresser un blâme au Président Paul Biya qui, nonobstant la promulgation des lois d'application de la Constitution, retarde la mise en place de collectivités et institutions nouvelles, douze ans après leur création. Mais en droit, la situation incriminée constitue-t-elle une grossière violation de la Constitution, de nature à fonder une décision de censure du juge constitutionnel et/ou à justifier la traduction du Président de la République en Haute cour de justice ? C'est douteux. Contrairement à la plupart de ses homologues africains, le Constituant camerounais de 1996 fait peser sur le pouvoir politique une obligation de résultat - la mise en place progressive des régions, du Sénat et du Conseil Constitutionnel - sans lui impartir un délai. Seul un rapport de forces politique idoine pourrait réparer un tel vice de fabrication ; c'est ainsi qu'au Bénin, en 1993, le Président Nicéphore Soglo a été contraint d'installer, dans un délai raisonnable, la Cour Constitutionnelle. Le Cameroun est aujourd'hui victime du même « exceptionnalisme » commandé par la parole constituante que celui constaté au Tchad, sous l'empire de la Constitution de 1996 ; le Conseil Constitutionnel tchadien s'était logiquement refusé en 2004 à invalider une loi de révision de ce chef.
(2) La participation du Sénat aurait-elle apporté un surcroît de légitimité démocratique à la révision de 2008 ? Je ne le crois pas. Reportez-vous à la composition du futur Sénat, déterminée par l'article 20 (2) de la Constitution de 1996, que met en œuvre la loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des sénateurs : 70 des 100 sénateurs seront élus au suffrage universel indirect sur base régionale, par un collège de « grands électeurs » (conseillers municipaux et conseillers régionaux), à un scrutin mixte à un tour sur-représentant le parti vainqueur ; les 30 autres sénateurs seront nommés par le Président de la République. Un Sénat d'inspiration bonapartiste, conçu « comme un instrument entre les mains du chef de l'Etat, plus que comme un contre-pouvoir »[1], aurait très probablement confirmé les choix de l'Assemblée Nationale, aujourd'hui dominée par le RDPC qui occupe 153 des 180 sièges de députés. La position hégémonique de l'ancien parti unique aurait certainement bénéficié d'un puissant renfort, puisqu'au moins 30 sénateurs auraient été mécaniquement acquis à la cause de la révision. Faut-il rappeler que, selon l'article 63 (2) de la Constitution, le Parlement réuni en congrès statue à la majorité absolue de ses membres ? Dès lors, les suffrages de 141 des 280 parlementaires auraient suffi pour modifier valablement la Constitution. La majorité qualifiée des deux tiers des parlementaires, soit les suffrages de 187 d'entre eux, n'est requise qu'au cas où le Président de la République demande une seconde lecture... La présence du Sénat n'aurait évidemment pas amélioré la qualité démocratique du processus de révision !
Par contre, il est certainement plus pertinent de s'interroger sur l'existence d'un vice de forme affectant la loi n° 2008/001 de révision de la Constitution : la formule de promulgation ne mentionne pas expressément que l'Assemblée Nationale tenait lieu de congrès en 2008.
L'ARTICLE 6 (2) : UNE REGLE DU JEU INTOUCHABLE ?
Mathias Eric Owona NGUINI me reproche « d'éluder expéditivement l'acquis libéral, républicain et constitutionnel des recompositions politiques des années 1990, [...] portées à défaire le monopole politique exprimé dans les systèmes de présidentialisme de parti unique instrumentalisant la souveraineté électorale à des fins autoritaires de perpétuation d'un pouvoir central perpétuel et personnel ». Le reproche ne tient pas : d'une part, son auteur fait l'impasse sur la note de bas de page renvoyant à un article accessible sur le net (A. LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Afrilex, n°03/2003, p. 139 et s. : www.afrilex.u-bordeaux4.fr/pdf/3doc8loada.pdf); d'autre part, il tire d'une simple communication des enseignements péremptoires que démentent d'autres travaux et, en premier lieu, « Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d'une démocratie africaine par la Constitution ». Et sur le site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, ce sont bien les avancées et les reculs du néo-constitutionnalisme libéral africain que mettent en exergue les billets publiés.
Sur le fond, je soutiens que ranger le double septennat de l'article 6 (1) de la Constitution camerounaise parmi les « principes démocratiques qui régissent la République », mis à l'abri de toute procédure de révision par l'article 64 de la Constitution, c'est spéculer sur l'interprétation qui pourrait être retenue. La texture de la clause d'éternité considérée apparaît ouverte. Un consensus se ferait très certainement pour faire figurer au titre des principes intangibles la détention de la souveraineté nationale par le peuple (art. 2 (1)), l'élection au suffrage universel des gouvernants (art. 2 (2)), le caractère égal et secret du vote (art. 2 (3)), ou encore le multipartisme intégral (art. 3). En revanche, seule l'opposition au Président Paul Biya considère que le double septennat de l'article 6 (2) était couverte par l'expression « principes démocratiques qui régissent la République ». Et il serait malaisé au juge constitutionnel de lui donner raison pour refuser au pouvoir de révision le droit de lever la limitation du nombre de mandats présidentiels :
(1) Les travaux préparatoires de la Constitution de 1996 ne sont d'aucun secours. Mathias Eric Owona NGUINI invoque le « consensus [...] qui s'était précisément formé entre décembre 1995 et janvier 1996, période au cours de laquelle la limitation des mandats qui n'était pas présente dans le projet gouvernant de révision de la constitution, y a été inscrite avec l'accord du pouvoir central suite à un compromis qui offrait en contrepartie l'allongement du mandat présidentiel de 5 à 7 ans ». Ces données rappellent opportunément que l'article 6 (2) est le fruit d'une transaction ; mais elles ne prouvent pas que le double septennat ait été considéré comme une règle du jeu intangible par toutes les parties prenantes au processus constituant originaire. Les constitutionnalistes sont d'ailleurs fréquemment confrontés à ce genre de compromis dilatoire. Il n'est pas superfétatoire de rappeler qu'en droit constitutionnel les travaux préparatoires - pas toujours univoques, comme en atteste une décision de 2005 du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso - peuvent guider l'interprétation mais n'ont pas force contraignante.
(2) La conception la plus répandue de la démocratie n'intègre pas la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels. Mathias Eric Owona NGUINI en convient ; seulement, il relève qu'elle « est souvent revendiquée là où elle n'existe pas, comme en France où le président Nicolas Sarkozy se présente comme l'un de ses défenseurs ». En quoi une telle revendication constitutionnelle, autrement dit une proposition de norme, devrait-elle dicter les choix de l'interprète ? Qui trancherait en présence de revendications constitutionnelles contradictoires ? N'est-ce pas un comble que d'évoquer l'exemple français et, ici, le projet de modernisation des institutions de Nicolas Sarkozy, pour dénier à l'Assemblée Nationale camerounaise le pouvoir de revoir et de corriger l'article 6 (1) ? Il serait certainement plus indiqué de rechercher une solution dans le droit constitutionnel commun en gestation en Afrique. Mathias Eric Owona NGUINI ne s'y risque pas, car il serait obligé de reconnaître que la règle d'or du néo-constitutionnalisme libéral africain de la décennie 1990 a vécu dans bien des pays.
(3) Une Constitution autorise ce qu'elle n'interdit pas expressément. Je n'ignore pas que la révision de l'article 6 (1) revient sur une règle de respiration de la vie politique et « restaure l'hyperprésidence dans un cadre temporel d'illimitation des mandats similaire à celui existant sous le présidentialisme de parti unique ». Néanmoins, ce constat - qui mériterait examen - n'autorise pas le constitutionnaliste à affirmer que l'article 64 de la Constitution immunisait évidemment le double septennat, au titre des « principes démocratiques qui régissent la République ». L'incertitude est d'autant plus grande que nombre de constitutions africaines ont interdit - à l'instar de la Constitution du Congo de 1992 - ou interdisent - à l'instar de la Constitution de la Mauritanie, depuis son amendement de 2006 ou de la Constitution de la République Démocratique du Congo de 2006 - expressément l'abandon de la clause de l'alternance automatique au sommet. Lorsqu'une telle précaution fait défaut, est-il illogique de conclure que le pouvoir de révision peut faire tout ce que le Constituant originaire ne lui a pas expressément interdit ?
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL : UN RECOURS ?
Mathias Eric Owona NGUINI se trompe et trompe les camerounais, lorsqu'il caricature mon propos et me campe en adversaire résolu du contrôle prétorien d'une loi de révision. Il travestit mes analyses, plus longuement développées dans "Le contrôle prétorien de la révision au Mali et au Tchad: un mirage?", article paru à la Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives (RBSJA), n°17, décembre 2006. Est-il si courant de vulgariser et de décortiquer, sur cette question passionnante, les décisions - intéressantes et contradictoires - de la Cour Constitutionnelle du Mali en 2001, du Conseil Constitutionnel du Tchad en 2004 et de la Cour Constitutionnelle du Bénin en 2006 ?
Dans la communication incriminée, je me suis livré, sur la base d'expériences africaines, à un exercice prospectif de droit constitutionnel, à l'occasion duquel des difficultés substantielles ont été identifiées.
(1) L'auto-habilitation du Conseil Constitutionnel pose problème - Mathias Eric Owona NGUINI préfère invectiver plutôt que s'inviter à une réflexion sérieuse et argumentée sur le principe même du contrôle juridictionnel. Il est obnubilé par l'existence virtuelle prolongée du Conseil Constitutionnel - la Cour Suprême statuant jusqu'à ce jour en ses lieu et place -, permise par l'article 67 (1) et (4) de la Constitution : « Le juriste-savant, qui demeure tactiquement et techniquement muet sur la question de la mise en place toujours attendue et de ses justifications clairement liées à une gestion retardataire et dilatoire du Conseil constitutionnel au Cameroun, est plus enclin à mettre en valeur les limitations et contraintes pesant sur le juge constitutionnel contrôlant l'exercice effectif du pouvoir de révision ». Le polémiste tait délibérément les conditions dans lesquelles un contentieux de la révision pourrait se nouer devant le Conseil Constitutionnel, une fois son installation acquise, ou devant la Cour Suprême, jusqu'à l'installation du Conseil Constitutionnel :
- Qui aurait le droit de contester la constitutionnalité d'une loi de révision, assimilée à n'importe quelle autre loi ? L'article 47 (2) de la Constitution réserve ce droit au Président de la République, au Président de l'Assemblée Nationale, au Président du Sénat, à un tiers des députés (60 sur 180), à un tiers des sénateurs (virtuellement 34 sur 100) et, à un président d'exécutif régional, lorsque les intérêts de sa région est en cause. Ce verrouillage de la saisine, qui tranche avec les réglementations constitutionnelles plus libérales en vigueur presque partout en Afrique, compromet sérieusement les chances de l'opposition de faire valoir son point de vue devant le juge. Il explique pourquoi en 2008 les opposants ne pouvaient pas saisir la Cour Suprême faisant office de Conseil Constitutionnel.
- Le juge constitutionnel se déclarerait-il nécessairement compétent ? Il ne faut pas prendre à la légère cette interrogation, car aucun texte ne reconnaît expressément au Conseil Constitutionnel la compétence de statuer sur une loi de révision constitutionnelle qui, sauf à méconnaître la hiérarchie des normes, n'est pas une loi comme les autres. C'est pourquoi nombre de juridictions, à l'instar du Conseil Constitutionnel du Sénégal dès 1998[2], ont décliné leur compétence et refusé de sanctionner les errements éventuels du pouvoir de révision. Qui peut affirmer que le juge constitutionnel camerounais ferait preuve de la même audace que ses homologues du Mali, du Tchad ou du Bénin ?
(2) L'auto-limitation du Conseil Constitutionnel paraît inévitable - Le contrôle de la constitutionnalité d'une loi de révision constitutionnelle doit être distingué de celui d'une loi ordinaire. Mathias Eric Owona NGUINI préfère le nier et rendre suspecte toute appréciation mesurée : « Au lieu d'envisager un horizon activateur d'un contrôle prétorien sagace, tenace et perspicace de la révision constitutionnelle, le juriste-savant se réfugie dans le confort d'une analyse simultanément pessimiste et conservatrice quant à son arrière-plan éthique et politique, analyse qui le porte, par un réflexe empiriste, à se soumettre de manière révérencieuse et déférente à l'horizon inhibiteur correspondant à " un contrôle limité " ». Le « Socio-politiste », ignorant la littérature constitutionnelle[3], jette un voile pudique sur les contraintes inhérentes à un contrôle rarement pratiqué, ne débouchant que très exceptionnellement sur une censure du pouvoir de révision. Le contrôleur ne peut, en particulier, échapper à l'alternative classique réserve/activisme, lorsqu'il détermine les normes opposables au pouvoir de révision. Ou bien il reconnaît que le législateur constitutionnel n'est pas un législateur comme les autres (ordinaire ou organique), qu'il est soumis à un corpus réduit de normes - au Cameroun la loi de révision ne serait contrôlée qu'au regard des règles procédurales de l'article 63 de la Constitution et des limites matérielles interprétées restrictivement de l'article 64, et alors son contrôle restreint préserve au maximum la liberté de décision des élus du peuple, autrement dit de l'hyper-majorité parlementaire. Ou bien le contrôleur juge audacieusement que le législateur constitutionnel est un législateur presque comme les autres, tenu de respecter un bloc de constitutionnalité hypertrophié - résultant de l'interprétation extensive des limites matérielles à la révision et/ou de la « découverte » de normes de référence non écrites, et alors un contrôle tatillon entrave, voire annihile, la liberté de décision des élus du peuple. C'est la substance même de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste en construction qui se trouve en jeu dans ces choix de politique jurisprudentielle. Le contexte est déterminant en ce domaine ; tous les pays n'ont pas connu le même itinéraire depuis le début de la décennie 1990. Peut-on impudemment parier sur la transposition au Cameroun d'un contrôle maximaliste de la loi de révision - au travers duquel la Cour Constitutionnelle se donne à voir comme le maître de la Constitution, de l'une des manifestations les plus spectaculaires de l'exception constitutionnelle béninoise ? Faut-il donner accroire que les exigences de l'Etat de droit doivent naturellement faire plier les principes de la démocratie ?
(3) Le Conseil Constitutionnel serait-il plus sage que les élus ? Mathias Eric Owona NGUINI laisse entendre que l'intervention du Conseil Constitutionnel serait la panacée. Il accorde donc davantage de crédit aux juges nommés qu'aux représentants élus du peuple souverain ; et ne verrait qu'avantage à un « gouvernement des juges ». C'est une opinion tout à fait respectable, mais éminemment discutable. Pour contrecarrer l'entreprise révisionniste de l'Assemblée Nationale, dominée par le RDPC, le Conseil Constitutionnel serait donc l'instance la plus appropriée. Faut-il rappeler qu'aux termes de l'article 51 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel comprend 11 membres, choisis à raison de 3 - dont le Président du Conseil - par le Président de la République, 3 par le Président de l'Assemblée Nationale après avis du bureau, 3 par le Président du Sénat après avis du bureau et de 2 par le Conseil supérieur de la magistrature ? Mathias Eric Owona NGUINI serait en peine de démontrer que, dans le contexte politique de 2008 issu des urnes, un tel Conseil Constitutionnel aurait évidemment opté pour une interprétation extensive des « principes démocratiques régissant la République » (article 64 de la Constitution) pour censurer l'abandon du double septennat. J'incline à penser que le « Socio-politiste » ne serait pas le dernier à dénoncer, à tort ou à raison, l'irrémédiable captation du Conseil Constitutionnel par le Président de la République et ses partisans. Je doute qu'il puisse affirmer catégoriquement qu'au vu de leur profil prédéterminé par le Constituant originaire - des « personnalités de réputation professionnelle » qui « doivent jouir d'une grande intégrité morale et d'une compétence reconnue », selon l'article 51 (1) - les juges constitutionnels seraient plus sages que les députés à l'Assemblée Nationale.
Pour toutes ces raisons, je persiste et je signe : le pouvoir de révision peut juridiquement presque tout faire.
Au lieu de s'en prendre à un constitutionnaliste, d'asséner des arguties, Mathias Eric Owona NGUINI aurait été bien inspiré de mettre ses talents au service de sa cause politique : pour changer l'ordre constitutionnel qu'elle conteste, l'opposition ne devra-t-elle pas s'inspirer de son homologue du Zimbabwe et investir le terrain électoral pour battre Paul Biya à l'élection présidentielle de 2011 ?
Que le débat continue !
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
[1] André CABANIS et Michel Louis MARTIN, « Un espace d'isomorphisme constitutionnel : l'Afrique francophone », in Mélanges Lavroff, Paris, Dalloz, 2005, p. 348.
[2] Dans sa décision du 9 octobre 1998 sur l'affaire n°9/C/98, le Conseil Constitutionnel sénégalais s'est déclaré incompétent pour statuer sur une loi constitutionnelle touchant à la rééligibilité du Président de la République et à la réglementation de la compétition présidentielle. Il a confirmé sa position, dans sa décision du 18 janvier 2006 sur l'affaire n°3/C/2005 concernant la loi constitutionnelle prorogeant le mandat des députés élus.
[3] Voir par exemple, sur le net, "Le pouvoir de révision constitutionnelle" de Kemal Gözler.