Le printemps 2018 fera date en Afrique : des cours constitutionnelles très activistes prétendent éteindre des crises politiques, quitte à « trop en faire », bien-au-delà de la lettre de la Constitution, et à s’ériger en Constituantes d’exception.
Après la Cour constitutionnelle du Gabon, la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar vient d’exécuter son « coup d’éclat jurisprudentiel ». Suite à la censure partielle mais ferme des lois électorales – Décisions du 3 mai 2016 n°16-HCC/D3 et n°17-HCC/D3 n°17-HCC/D3 -, la Haute Cour a rendu la Décision n°18-HCC/D3 du 25 mai 2018 Relative à une requête en déchéance du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA.
Comme en 2015 - Décision n°24-HCC/D3 du 12 juin 2015 relative à la résolution de mise en accusation du Président de la République Hery RAJAONARIMAMPIANINA -, la Haute Cour constitutionnelle n’a certes pas prononcé la déchéance du Président de la République que sollicitait l’opposition. Mais elle a bien sanctionné le Pouvoir pour manquement à son obligation constitutionnelle de mise en place de la Haute Cour de justice, en lui adressant des injonctions « Sauf Accord politique dans un délai de dix (10) jours » - un accord hors de portée… - qui bouscule l’économie générale de la Constitution politique.
La Haute Cour constitutionnelle a édicté une « Constitution jurisprudentielle de sortie de crise », aux termes de laquelle, entre autres :
- la Haute Cour de justice doit être installée « dans les délais les plus brefs » ;
- le Gouvernement en place doit être remplacé, dans un délai de 14 jours, par un « Gouvernement de consensus » ;
- une élection présidentielle anticipée devra se tenir « durant la saison sèche au cours de cette année 2018 ».
C’est pour sauvegarder « les fondements de la République […] fragilisés par une crise socio-politique et institutionnelle majeure » que la Haute Cour constitutionnelle a largement dépassé le rôle que lui confère expressément le texte de la Constitution de la IV° République de Madagascar. Il est remarquable – et quelque peu insolite – que la Haute Cour ait voulu exercer, dans « l’esprit de la Constitution », la « fonction de régulation des pouvoirs publics [qui] est actuellement établie et reconnue par des Cours constitutionnelles ou institutions voisines des pays de la zone Afrique pour ne citer que celles du Gabon et du Benin » et qu’elle justifie son intervention par son appartenance et adhésion « aux principes des diverses Associations de Cours Constitutionnelles ou Institutions voisines de par le monde : Conférence des Juridictions Constitutionnelles Africaines (CJCA), Association des Cours Constitutionnelles ayant en Partage l’Usage du Français (ACCPUF)… ».
Il existerait donc désormais un « fonds jurisprudentiel africain de principes » qui ferait du juge constitutionnel un Constituant d’exception, pour faire pièce aux errements du Pouvoir et contribuer à la pacification de la vie politique.
Ce bref billet ouvre de fécondes pistes de réflexions. Il donne à voir que « Le nouveau juge constitutionnel en Afrique est non seulement aussi efficace que son homologue occidental, mais va même parfois plus loin que celui-ci » (Alioune Badara FALL, « Le droit africain a-t-il sa place en droit comparé? », in Le devenir du droit comparé en France. Journée d’études à l’Institut de France 23 juin 2004, Jean du Bois de Gaudusson (dir.), PUAM, 2005, pp. 165-166). Trop loin ?
Stéphane Bolle
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/