Dans un Etat de droit et de démocratie pluraliste émergent, les représentants du peuple n'ont pas tout pouvoir pour se donner n'importe comment, n'importe quel privilège. C'est ce que viennent d'apprendre à leurs dépens les députés de l'Assemblée Nationale du Niger.
Le 5 mai 2008, une loi a été votée pour remplacer la loi n° 95 - 023 du 15 décembre 1995 portant statut du député et augmenter substantiellement les avantages financiers des bénéficiaires. Le nouveau statut a scandalisé nombre de nigériens (officiellement 60% des nigériens vivent en dessous du seuil de pauvreté) et provoqué des mouvements de protestation dans la société civile. Invité par les organisations contestataires à ne pas promulguer la loi - donc, à manquer à l'un des devoirs de sa charge -, le Président Tandja, le 2 juin 2008, a saisi la Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi portant statut du député.
Lors de son audience publique du 13 juin 2008, la Cour Constitutionnelle, par ARRET N°001/CC/MC (que vous pouvez consulter ICI ), a invalidé la loi déférée.
La lecture de l'ARRET N°001/CC/MC est fort instructive. J'attire particulièrement votre attention sur les points suivants qui mériteraient discussion :
* La Cour Constitutionnelle a profité de l'occasion pour accroître ses pouvoirs
Alors que cela n'était pas nécessaire pour déclarer régulière sa saisine par le Chef de l'Etat, la Cour a qualifié de loi organique une loi portant statut du député et, de la sorte, élargi le champ du contrôle de constitutionnalité obligatoire. L'opération - qui défie le principe hérité de la France, selon lequel la liste exhaustive des lois organiques figure dans la Constitution - ne va pas sans rappeler l'arrêt N° 93-13/CS/ Ch. Cons. du 23 avril 1993, par lequel la Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême a considéré - non sans audace ! - que la résolution portant règlement intérieur de l'Assemblée Nationale constituait une loi organique.
* La loi ne peut pas tout faire, mais...
La Cour Constitutionnelle a sanctionné, à un double titre, l'incompétence de l'Assemblée Nationale, auteur du statut du député : d'une part, la loi était entachée d'incompétence positive, puisqu'elle empiétait sur le domaine de compétences du pouvoir constituant dérivé, en ajoutant des causes d'absence justifiant la délégation de vote, alors que la liste limitative de ces causes figure à l'article 69 alinéa 3 de la Constitution du 9 août 1999 ; d'autre part, elle était entachée d'incompétence négative, en ce qu'elle renvoyait à une « délibération de l'Assemblée Nationale » - un acte juridique ne figurant pas dans la nomenclature constitutionnelle - pour la fixation des allocations familiales et de d'autres avantages, en violation de l'article 67 alinéa 3 de la Constitution qui réserve à la loi la détermination de toute indemnité allouée aux députés. La Cour a également relevé un vice de procédure : le Président de l'Assemblée Nationale n'a pas prononcé l'irrecevabilité de la proposition de loi à l'origine du nouveau statut du député, alors qu'elle tombait sous le coup de l'article 93 de la Constitution, dans la mesure où l'augmentation des dépenses induites n'était pas compensée par des économies ou des recettes nouvelles.
C'est à bon droit que la Cour Constitutionnelle a cassé la loi, au terme d'un contrôle de constitutionnalité « externe ». Seulement, tout vice de forme peut être aisément réparé, si la configuration politique et le climat social le permettent. En l'occurrence, la Constitution pourrait être amendée, à une majorité surqualifiée - le verrou constitutionnel pourrait sauter si le corporatisme l'emportait dans l'hémicycle -, conformément au titre XII de la Constitution ; une nouvelle loi pourrait être initiée par le Gouvernement (article 90 de la Constitution), affranchi de toute règle d'irrecevabilité financière ; et la loi pourrait être corrigée pour prévoir expressément toutes les indemnités à verser aux membres et responsables de la représentation nationale.
L'arrêt de la Cour Constitutionnelle n'éteint donc pas la controverse sur le statut du député qui pourrait, dans le strict respect de la Constitution, renaître de ses cendres d'ici quelques mois !
* Le député n'est pas un citoyen comme les autres
Contrairement à ce que pourrait suggérer une lecture superficielle de l'ARRET N°001/CC/MC, la Cour Constitutionnelle n'a pas donné raison aux contempteurs de la loi ; elle n'a pas - à proprement parler - condamné la gabegie de l'Assemblée Nationale. Pis, la Cour admet, s'agissant de la prise en charge par l'Assemblée des soins médicaux du député, de ses conjoints et de ses enfants mineurs, que la loi peut déroger, pour des motifs d'intérêt général, au principe constitutionnel d'égalité au profit d'une catégorie de personnes. En l'espèce, la Cour Constitutionnelle censure l'extension des avantages considérés, non parce qu'elle grèverait les finances publiques, mais parce qu'elle n'a pas été dûment justifiée, au cours de la procédure législative. Faut-il en déduire que le député n'est pas un citoyen comme les autres, qu'il constitue une catégorie pouvant bénéficier d'une différence de traitement ? Dans l'affirmative, les adversaires des privilèges financiers des élus du peuple peuvent se réjouir d'avoir remporté une bataille, mais ils n'ont pas gagné la guerre.
Si la Constitution interdit au législateur de tout faire, elle ne saurait être une assurance tous risques contre les « mauvais coups ». Sans vigilance citoyenne, la Constitution - en Afrique comme ailleurs - peut être instrumentalisée à des fins contraires au bien commun !
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/