Jeudi 27 novembre 2008, le Président de la République du Mali a remis aux chefs d'institutions un exemplaire du rapport du Comité d'experts qu'il avait commis en février pour réfléchir à la consolidation de la démocratie. A l'occasion de cette cérémonie, KOULOUBA, le site officiel de la Présidence, a rendu publiques les conclusions du comité :
POUR LA CONSOLIDATION DE LA DEMOCRATIE AU MALI- Page de garde
POUR LA CONSOLIDATION DE LA DEMOCRATIE AU MALI- Sommaire
POUR LA CONSOLIDATION DE LA DEMORATIE AU MALI - Corps du rapport
Les maliens vont pouvoir - enfin ! - juger sur pièce un rapport remis au Chef de l'Etat le 10 octobre 2008 et dont Daba Diawara, le Président du Comité, avait fait une synthèse le 20 octobre. Pourquoi les pouvoirs publics ont-ils satisfait aussi tardivement à l'impératif de transparence ?
La lecture, fort instructive, du Rapport Daba Diawara ne permet pas de répondre à cette question : la levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels est bien écartée, même si sont minutieusement répertoriés les arguments en faveur et en défaveur de la règle d'or du néo-constitutionnalisme africain de la décennie 1990 ; et, la facture classique des conclusions du Comité interdit d'envisager une révision régressive de la Constitution du 25 février 1992, susceptible d'être invalidée par la Cour Constitutionnelle. Le souci d'apporter des réponses maliennes à des problèmes proprement maliens (ou, plus largement africains), par l'exploitation raisonnée de sources d'inspiration diversifiées, parmi lesquelles le projet de révision de 2001, le Rapport du Comité Vedel de 1993 et le Rapport du Comite Balladur de 2007 confirme l'analyse menée dans "Des Constitutions "made in" Afrique" : les lois fondamentales africaines se font, se défont et se refont au carrefour de l'universel et du singulier.
Il serait, néanmoins, erroné et préjudiciable à l'objectif de consolidation de la démocratie pluraliste de banaliser les conclusions du Rapport Daba Diawara. La relecture proposée de la Constitution du 25 février 1992 changerait son visage sur bien des points, notamment les suivants :
- Le transfert préconisé de la définition de la politique de la Nation du gouvernement au Président de la République (proposition n°6), qui pourrait librement démettre le Premier Ministre (proposition n°7), désormais tenu de présenter le programme du Gouvernement à l'Assemblée Nationale, inscrirait dans le marbre de la Constitution la pratique constamment présidentialiste du régime semi-présidentiel retenu en 1992. Les pouvoirs de nomination du Chef de l'Etat seraient également élargis au choix du Président de la Cour Constitutionnelle (proposition n°11) et de celui de l'autorité de régulation des médias (proposition n°12).
- Le pouvoir de révision est invité à « casser » l'arrêt n°003 de la Cour Constitutionnelle du 25 octobre 1996 : le législateur serai autorisé à retenir n'importe quel système électoral pour l'élection des députés à l'Assemblée Nationale (proposition n°53) ; les membres de la même chambre pourraient, selon leur circonscription, être élus au scrutin majoritaire, à la représentation proportionnelle ou au scrutin mixte. Ces inégalités entre élus pourraient-elles améliorer la représentativité de la chambre basse ?
- La création d'un Sénat élu au suffrage universel indirect partageant l'exercice du pouvoir législatif avec l'Assemblée Nationale (proposition n°44) et dont le Président assurerait l'intérim du Chef de l'Etat (proposition n°45) serait d'autant plus de nature à modifier l'équilibre des institutions que le président de la chambre haute choisirait un tiers des membres de la Cour Constitutionnelle (proposition n°74) - désormais nommés pour 9 ans non renouvelables au lieu de 7 ans renouvelables une fois (propositions n°71 et 72) - et qu'une révision de la Constitution pourrait se faire sans référendum, à condition de ne pas porter sur la durée ou le nombre de mandats présidentiels, (proposition n°66). Faut-il qu'une chambre des notables contrebalance la chambre des citoyens ?
- Le réaménagement organique envisagé du pouvoir juridictionnel s'accompagnerait du maintien de la présidence par le Chef de l'Etat d'un Conseil supérieur de la magistrature composé pour moitié de personnalités extérieures à la justice et au pouvoir politique - où se situe ce vivier de « sages » ? - (proposition n°81) ou encore de la restriction au seul cas de haute trahison de la responsabilité du Président de la République (proposition n°17). Ces propositions sont-elles de nature à renforcer substantiellement le crédit et l'indépendance du troisième pouvoir ?
- La Cour Constitutionnelle, où pourraient désormais siéger les anciens présidents de la République (proposition n°16) -est-ce l'option la plus pertinente, alors que le nouveau Sénat aurait pu les accueillir ?-, verrait ses compétences électorales amputées par la création d'une autorité indépendante, l'agence générale des élections (propositions n°109 à 129), et ses compétences de gardienne de la Constitution élargies par la réforme de la cérémonie du serment présidentiel (proposition n°4) l'introduction du contentieux constitutionnel des lois par voie d'exception (proposition n°224). Cette réforme rendrait-elle la Cour Constitutionnelle plus utile, plus performante, au service de l'Etat de droit et de démocratie pluraliste au Mali ?
Il appartient maintenant aux maliens de débattre publiquement, de discuter la pertinence des propositions du Rapport Daba Diawara, dans toutes les enceintes disponibles, y compris sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE, ... avant de se prononcer - peut-être pour la dernière fois... - par référendum.
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/