Les africains ont-ils fait leurs les prescrits de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ? En ce soixantième anniversaire de la déclaration, la réponse paraît devoir être négative. Des faits accablants n'ont de cesse d'être rapportés par les observateurs et défenseurs des droits humains. Amnesty international constate, dans son livret commémoratif, « [qu']Un fossé entre les promesses de ce texte et les violations massives des droits humains existe, [que] l'égalité et la justice pour toutes et tous, dans le monde entier, reste à atteindre ». L'Afrique illustre à souhait cet insupportable hiatus entre de généreuses proclamations et des droits constamment bafoués[1]. Récemment, le rapport de Human rights watch sur la situation en République démocratique du Congo a fait état d'inqualifiables exactions, dont sont toujours victimes nombre d'africains au 21ème siècle. L'origine occidentale de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ne constitue pas le facteur explicatif déterminant, car, comme l'écrit le Vice-Président de la FIDH, « Tantôt qualifiés de postmodernes, dépassant les clivages idéologiques totalisant de la gauche comme de la droite, tantôt taxés de nouvelle religion civile au parfum néocolonial, les droits de l'Homme sont plutôt pour nous une merveilleuse construction humaine, juridique certes, mais dynamique dans sa constante évolution à travers les déclarations et énonciations historiques successives, favorisant les combats politiques majeurs pour porter au plus haut niveau l'émancipation et l'effectivité de la dignité humaine. Ils ne doivent donc pas être vus comme un nouveau catéchisme, une parole absolue, ou encore une rhétorique creuse ».
Depuis la chute du mur de Berlin, les constitutions africaines participent à ce mouvement, au perfectionnement continu du droit des droits de l'homme. C'est ainsi que, loin d'imiter la France, les lois fondamentales d'aujourd'hui comportent de notables avancées, des mécanismes et des institutions propres à mieux assurer le respect de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948. Ainsi, elles « procèdent à une reconnaissance dure et granitique des droits fondamentaux »[2], au travers notamment de l'incorporation de la Déclaration universelle de 1948. Ce procédé spectaculaire, inconnu en droit constitutionnel français, donne un surcroît de légitimité aux Etats de droit démocratiques en construction et étend sensiblement le bloc de constitutionnalité, sur le plan quantitatif et qualitatif. La constitutionnalisation de la charte internationale des droits de l'homme pose, certes, la question de savoir comment cette charte s'articule avec les longues « déclarations » nationales des droits incluses dans le corps même des constitutions. Mais elle informe que le droit africain des droits de l'homme ne souffre pas d'incomplétude puisque c'est sa sophistication qui peut être source de difficultés juridiques. Dans le même ordre d'idées, il n'est pas rare que le constituant africain multiplie les institutions, en capacité juridique d'assurer une protection convenable des droits humains. Aux juridictions constitutionnelles, expressément chargés d'imposer au législateur, voire au pouvoir exécutif, le respect de la Constitution sociale, s'ajoutent souvent des commissions ou médiateurs, aux statuts et fonctions les plus variés, oeuvrant à la promotion et/ou à la garantie des droits. Ces dispositifs ont l'incontestable mérite d'exister, même si certains perfectionnements pourraient être apportés.
Dès lors, il convient de ne pas s'abîmer dans une critique virulente du droit positif. Imputer à de prétendues malfaçons des textes constitutionnels africains les violations - majeures ou vénielles - de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, c'est négliger l'application du droit. Le constitutionnaliste ne saurait oublier que « si le droit dit ce qu'il faut faire, il ne dit pas ce qu'on en fera »[3].
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
[1] René DEGNI-SEGUI, Les droits de l'homme en Afrique noire francophone, Théories et réalités, 2ème éd., Abdijan, CEDA, 2001
[2] Luc SINDJOUN « Les nouvelles constitutions africaines et la politique internationale : contribution à une économie internationale des biens politico-institutionnels », Afrique 2000, Mai 1995, n°21, p. 39.
[3] Georges VEDEL, « Le Hasard et la Nécessité », Pouvoirs n°50, 1989, pp. 27-28.