Le renversement de tout pouvoir légal débouche immanquablement, à terme, sur l’établissement d’une constitution nouvelle ou sur la révision de la Constitution du régime déchu. En République Islamique de Mauritanie, c’est cette seconde voie, déjà expérimentée après le coup d’Etat du 3 août 2005, qui va être empruntée pour légitimer le coup d'Etat du 6 août 2008 et en tirer toutes les conséquences de droit.
A cette fin, le Haut Conseil d’Etat a organisé des « Etats généraux de la démocratie », boycottés par ses opposants du Front national pour la défense de la démocratie. Les conclusions de ces assises, qui se sont déroulées du 27 décembre 2008 au 5 janvier 2009, viennent d’être rendues publiques. Vous les trouverez ci-dessous:
RAPPORT GENERAL DES ETATS GENERAUX DE LA DEMOCRATIE
La lecture de ce document est édifiante à plus d’un titre.
Les Etats généraux de la démocratie s’inscrivent d’abord dans une tendance préoccupante au « bougisme » constitutionnel qui sévit en Afrique. Comme naguère dans l’ancienne métropole, « la Constitution [est] un chantier jamais clos, la cause de tous les maux et le réservoir de toutes les espérances. La Constitution en vigueur [est] exécrable, mais une autre, agencée finement, [sera] la thérapeutique nécessaire et suffisante. Idée fort peu naturelle, issue d'une vision largement magique du monde, mais consolante par son volontarisme ingénu: une bonne constitution permettra une bonne politique, dans laquelle toutes les tragédies, problèmes et embêtements seront solubles »[1].
Par ailleurs, la thérapeutique recommandée épouse et magnifie un constitutionnalisme réactionnaire. Les participants se déclarent en faveur de l’octroi – sur le modèle turc ? - d’un statut constitutionnel aux forces armées et de sécurité, louées pour leur prétendue neutralité politique. Par contre, ils se sont divisés sur les questions institutionnelles, même si le rapport retient l’interdiction du « nomadisme politique » des parlementaires et, non sans un certain flou, la parlementarisation du régime semi-présidentiel.
C’est le Haut Conseil d’Etat et lui seul qui décidera de la suite à donner au travail plutôt bâclé des Etats généraux de la démocratie, à l’esquisse une constitution singulière, à la fois militarisée et parlementarisée. Se fera-t-il un devoir de ne pas porter atteinte au « noyau dur » de la Constitution mauritanienne, que sanctuarise depuis 2006 l’article 99 alinéa 4 ? Selon cette disposition :
« Aucune procédure de révision de la Constitution ne peut être engagée si elle met en cause l’existence de l’Etat ou porte atteinte à l’intégrité du territoire, à la forme républicaine des Institutions, au caractère pluraliste de la démocratie mauritanienne ou au principe de l’alternance démocratique au pouvoir et à son corollaire, le principe selon lequel le mandat du Président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois, comme prévu aux articles 26 et 28 ci-dessus ».
S’il semble acquis qu’une élection présidentielle - ouverte à la candidature des militaires ! - aura lieu les 30 mai et 13 juin 2009, l’incertitude demeure sur la procédure de « rectification » de la Constitution de 1991 amendée en 2006 (cf. ici la 1ère partie et la 2nde partie de ce texte, actuellement mis partiellement entre parenthèses l'ordonnance constitutionnelle du 11 août 2008). Au cas où il serait respecté, le titre XI de la loi fondamentale n’impose pas le recours au référendum, au souverain primaire ; la révision peut être approuvé par le Congrès du Parlement et, en l’espèce, serait plébiscité par la très large majorité de députés et de sénateurs acquise au pouvoir issu du coup d’Etat du 6 août 2008.
Est-il légitime que des bouleversements constitutionnels d’envergure puissent être actés sans jamais en référer au peuple ?
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public