La Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo sera à nulle autre pareille, lorsque « sa » loi organique - prévue par l'article 169 de la Constitution de 2006 - sera votée et promulguée. Contrairement à ce que d'aucuns pourraient présumer, le texte à venir ressemblera ni à l'ordonnance organique sur le Conseil Constitutionnel français, ni à la loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle belge (nouvelle dénomination de la Cour d'arbitrage depuis une révision constitutionnelle de 2007), ni à aucune des lois organiques en vigueur dans un autre pays africain et accessible sur le site de l'ACCPUF. De quoi tordre le coup à toute présomption de mimétisme aveugle ! Le texte à venir ne sera pas davantage d'initiative gouvernementale ou présidentielle ; il ne procédera pas d'un vote bâclé par une chambre d'enregistrement des volontés de l'exécutif. Pour se faire une idée assez précise de la future loi organique sur la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo, il convient d'examiner
LE RAPPORT DE LA COMMISSION POLITIQUE, ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE, en date du 9 juin 2008
, que vous trouverez sur votre site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE en deux parties[1] :
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/RD-Congo/Rapport-1-AN-sur-CC-Congo.pdf
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/RD-Congo/Rapport-2-AN-sur-CC-Congo.zip
Le texte rapporté par la Commission est une version largement amendée - et améliorée - de LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE DU DEPUTE BULE, déposée à l'Assemblée Nationale le 30 octobre 2007[2]. La Commission politique, administrative et judiciaire a seulement pris en considération, en tant que document de travail, le PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE.
Il sera proposé, dans les lignes qui suivent, un commentaire du texte de la Commission, qui s'ajoutera aux articles
La future Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo sera empreinte d'une incontestable d'originalité : d'une part, trois sortes de magistrats constitutionnels y officieront (I) ; d'autre part, le droit de contestation largement ouvert devant la Cour présentera une assez grande complexité (II) ; enfin, un vrai procès constitutionnel pourra se dérouler devant la Cour (III).
(I) LES TROIS SORTES DE MAGISTRATS CONSTITUTIONNELS
Les conseils et cours constitutionnels africains comprennent généralement une seule catégorie de membres. A la future cour congolaise, trois sortes de magistrats constitutionnels officieront: les membres proprement dits, faisant l'objet d'un profilage dont la pertinente est discutable ; des conseillers référendaires au statut assez mal défini ; des magistrats du parquet investis d'une fonction peu orthodoxe, sujette à caution.
Hans Kelsen considérait qu'« Il est de la plus grande importance d'accorder dans la composition de la juridiction constitutionnelle une place adéquate aux juristes de profession », sans exclure « la collaboration des membres appelés à la défense des intérêts proprement politiques. »[3] Une combinaison de ce type est commandée par les articles 158 alinéa 2 et 159 de la Constitution de 2006 : les 2/3 des membres de la Cour doivent être des juristes ; et nul ne peut être nommé à la Cour s'il ne justifie d'une « expérience éprouvée de quinze ans dans les domaines juridique ou politique ». L'article 3 alinéa 1 2) du texte commenté (p. 6 à 8) se borne à recopier la Constitution, sans dresser, dans les deux domaines, une liste de fonctions qui, en raison de leur importance, pourraient légitimer l'accès à la charge de membre de la Cour Constitutionnelle. Le législateur organique ne devrait-il pas plutôt s'inspirer de la solution judicieusement retenue au Sénégal par l'article 4 de la loi de 1992 sur le Conseil Constitutionnel ? La Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale ne met-elle pas en danger la crédibilité des futurs juges constitutionnels lorsqu'elle estime que toute fonction partisane - et non pas seulement un mandat électif ou une fonction ministérielle - devra être prise en considération dans le décompte de la durée de l'expérience requise ? Est-il, par exemple, bien raisonnable de permettre au Président de la République ou au Parlement réuni en Congrès de choisir un « obscur » dirigeant de section locale d'un parti politique pour siéger à la Cour Constitutionnelle ?
Par ailleurs, l'article 3 alinéa 2 du texte commenté (p. 7 à 8) ajoute un critère à ceux prévus par la Constitution : la Commission recommande d'exclure les parents ou alliés jusqu'au troisième degré d'être au même moment membres de la Cour « afin de renforcer l'indépendance de cette dernière, en la mettant à l'abri du tribalisme, du clientélisme et du népotisme ». Cet ostracisme peut paraître bienvenu. Seulement, sa constitutionnalité est douteuse, au regard de l'article 169 de la Constitution de 2006 qui habilite le législateur organique à fixer l'organisation et le fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Il convient de ne pas oublier qu'une loi organique complète ou précise la Constitution (Constit. Tchad 1996, art. 128), et, à l'instar de tout texte d'application, ne peut que la prolonger. C'est la leçon que l'on peut tirer de la jurisprudence constitutionnelle béninoise et, en dernier lieu, de la décision DCC 05-069 du 27 juillet de censure d'une loi électorale ajoutant une condition d'accès à la compétition présidentielle. N'est-il pas symptomatique que la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale rejette certains amendements pour inconstitutionnalité avant de s'affranchir - me semble-t-il - de cette règle ?
Le texte rapporté par la Commission recommande la création, sur le modèle belge (loi spéciale sur la Cour Constitutionnelle belge, titre II, Chapitre 2, art. 35 à 39), d'un corps de conseillers référendaires, placé sous l'autorité du Président de la Cour Constitutionnelle (art. 19 à 21, pp. 14-15). L'accès à ce corps se fera sur concours réservé aux « porteurs d'un diplôme de licence », sans autre précision. Faut-il en déduire qu'un licencié en lettres, en histoire, en sociologie ou encore en sciences économiques pourra devenir conseiller référendaire ? La réponse semble devoir être affirmative puisqu'il est précisé que les trois quarts des conseillers référendaires devront être « des juristes, justifiant d'une expérience d'au moins quinze ans ». Quid du quart restant ? Quelle valeur ajoutée pour une bonne administration de la justice constitutionnelle peut-elle être attendue de non juristes qui, de fait, pourraient être choisis, sur des critères ethniques, régionaux, religieux et/ou politiques ? Si les non juristes sont admis à concourir, quel genre d'épreuve les candidats devront-ils passer ? Le texte est muet sur ce point ; et il ne précise pas davantage la composition du jury qui devra départager les candidats.
Il faut aussi déplorer que la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale ait omis de rapporter sur l'article 20 de la proposition BULE, l'article chargeant les conseillers référendaires - je cite - « d'assister la Cour dans l'étude et la préparation technique des questions lui soumises ». La Commission aurait dû non seulement corriger une malfaçon rédactionnelle flagrante, mais encore détailler le rôle exact que joueront les conseillers référendaires. Ce manque de clarté est d'autant plus regrettable que leur intervention éventuelle, à un stade quelconque de la procédure devant la Cour Constitutionnelle, n'est mentionnée nulle part. A quoi donc serviront les 60 conseillers référendaires - c'est le numerus clausus retenu par l'article 96, p. 49 - auprès des 9 membres de la Cour Constitutionnelle, sachant que le texte prévoit expressément le recours à l'expertise externe, qu'elle soit nationale ou internationale ? Seront-ils des assistants rattachés aux membres de la Cour, à l'instar des assistants parlementaires, ou des juges constitutionnels de second rang, délestant les membre de la Cour des tâches les plus fastidieuses ? Il serait sage que le législateur organique définitive tranche.
Une juridiction constitutionnelle n'est pas une juridiction comme les autres. C'est pourquoi l'institution d'un « Parquet général près la Cour Constitutionnelle », exerçant « les fonctions de ministère public près cette Cour » (art. 11 à 13, pp. 11-12) peut paraître incongrue. Observons d'emblée que, sauf erreur, ce choix n'a été fait en droit positif par aucun des pays se rattachant au modèle kelsénien de justice constitutionnelle. La Constitution de 2006, en son article 149 alinéa 1, prévoit expressément que la Cour Constitutionnelle, composante du pouvoir judiciaire « indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif », est dotée, à l'instar des autres juridictions, d'un parquet, à charge pour le législateur organique de régler le statut de ses membres et de circonscrire leur fonction.
Le texte de la Commission politique, administrative et judiciaire de l'Assemblée Nationale propose, pour l'essentiel, d'assimiler le Procureur général, du Premier Avocat général et les deux avocats généraux près la Cour Constitutionnelle, à leurs homologues des juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. Le Président de la République les nommera conformément au statut des magistrats, sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pour un mandat de 6 ans. Plusieurs difficultés méritent d'être relevés :
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- le procureur général près la Cour Constitutionnelle sera ès qualités membre du CSM qui désignera son successeur ... ou qui le reconduira; se déportera-t-il alors même qu'aucune règle écrite ne semble l'y contraindre[4]? -
- un mandat de 6 ans sans autre précision paraît peu indiqué, car le Président de la République pourrait fort bien repousser la proposition de reconduction du magistrat sortant du parquet près la Cour Constitutionnelle que formulerait le CSM; l'indépendance d'un tel magistrat ne serait-elle pas mieux assurée par un mandat jusqu'à la mise à la retraite ou par un mandat non renouvelable?
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En somme, il convient de s'interroger sur l'indépendance du parquet général près la Cour Constitutionnelle et sur les raisons qui ont conduit à envisager qu'ils ne bénéficient pas des garanties exorbitantes du droit commun reconnues aux membres de la Cour Constitutionnelle.
La réflexion doit aussi porter sur le rôle dévolu au parquet général près la Cour Constitutionnelle. Celui-ci sera tout à fait significatif dans le règlement du contentieux constitutionnel : le ministère public recevra communication du dossier de procédure en vue de formuler, dans un délai de 15 jours francs, un avis - écrit semble-t-il -, après les conclusions des parties et avant l'intervention du Rapporteur (art. 36, p. 21) ; et c'est après avis du ministère public que le Président de la Cour Constitutionnelle confiera le dossier à un membre de la Cour pour rapport (art. 38, p. 23). Pour apprécier la portée de telles interventions, il faudrait décrypter les arrêts rendus depuis 2006 en matière constitutionnelle par la Cour Suprême de Justice : la Cour se prononce-t-elle ou non dans le sens proposé par le parquet ?
Le constitutionnaliste devrait, en définitive, se demander dans quelle mesure le parquet général près la Cour Constitutionnelle s'écarte plus ou moins des préconisations - non suivies d'effets en Europe et en Afrique - qu'a faîtes naguère Hans Kelsen :
« Une institution tout à fait nouvelle mais qui mériterait la plus sérieuse considération serait celle d'un défenseur de la Constitution auprès du tribunal constitutionnel qui, à l'instar du ministère public dans la procédure pénale, aurait à introduire d'office la procédure du contrôle de constitutionnalité pour les actes qu'il estimerait irréguliers. Il va de soi que le titulaire d'une semblable fonction devrait être revêtu de toutes les garanties imaginables d'indépendance vis-à-vis tant du gouvernement que du Parlement »[5].
Vous trouverez prochainement la suite de « Vers une Cour Constitutionnelle à la congolaise » sur votre site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE
Stéphane BOLLE
Maître de conférences HDR en droit public
http://www.la-constitution-en-afrique.org/
[1] Le téléchargement du Rapport peut prendre du temps : il s'agit de fichiers assez lourds, respectivement de 7,85 Mo et 7,59 Mo.
[2] Le téléchargement de la proposition peut prendre du temps : il s'agit d'un fichier assez lourd, de 6,88 Mo.
[3] Hans Kelsen « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La Justice constitutionnelle) », R.D.P., 1928, p. 227.
[4] L'article 63 du statut des magistrats sur les récusations, lequel renvoie à l'article 71 du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires , ne s'applique qu'en matière disciplinaire. En dehors de cette matière, la loi organique de 2008 sur le Conseil Supérieur de la Magistrature ne prévoit expressément aucune règle.
[5] Hans Kelsen, op. cit., p. 247.